« J'ai une maladie : je vois le langage[1] ». À l'origine de notre propos, il y a le désir de réévaluer cette affirmation bien connue de Roland Barthes, d'en interroger la genèse, d'en comprendre les enjeux et d'en mesurer la force de résonance dans le projet d'écriture qui fut le sien. En effet, cette formule peut être double dans l'ordre de la réception. Soit on y voit un truisme – et alors on se dit qu'avoir un rapport affectif au langage est le propre de l'écrivain, et a fortiori du sémiologue – , soit on l'envisage comme une proposition forte – et alors on cherche à mesurer à nouveaux frais l'articulation subtile que fait Barthes entre l'existentiel et le linguistique. Car « voir » le langage, ce n'est pas tout à fait la même chose qu' « aimer » ou « détester » la langue; de même, s'en dire « malade », c'est postuler un ordre d'affectivité qui relève de la pathologie et qui agit malgré soi. Par delà l'ouverture sémantique, la formule ne saurait être isolée dans l'œuvre de Barthes tant elle répond souterrainement à une insistance interne et à un désir de mimétisme. Que l'on songe aux « migraines historiques » de Michelet, au « délire auditif » de Flaubert, à la « vision folle » des anagrammes chez Saussure ou encore à la capacité de Valéry de « voir les formes de Phrase », on est à chaque fois frappé de voir combien Barthes aime collectionner – souvent sur le mode anecdotique – des vignettes d'écrivains ou de savants entretenant avec leur langue un trouble d'ordre pathologique. C'est donc, toujours de façon oblique, une manière de se dire et de s'inclure parmi les grands « sensitifs » du langage.
Il nous semble que c'est précisément dans la syntaxe et les catégories d'ordre grammatical que se noue cet investissement existentiel dans les formes du langage. En effet, le Neutre – avant qu'il ne fasse l'objet d'une dérivation conceptuelle et ne se convertisse en éthique de vie et d'écriture – désigne d'abord une catégorie grammaticale empruntée à des systèmes verbaux étrangers ; mais le Neutre n'est que l'arbre qui cache la forêt, derrière lui se dissimulent nombre de catégories syntaxiques – moins massivement théorisées mais investies de façon tout aussi récurrente – qui étoilent les textes barthésiens et qui témoignent elles aussi, par métaphorisation, de quelque indice existentiel. Cette manière de faire n'échappe d'ailleurs pas à Barthes au moment de l'auto-analyse scripturale :
Ce procédé est constant chez vous : vous pratiquez une pseudo-linguistique, une linguistique métaphorique, [...] les concepts [grammaticaux] viennent constituer des allégories, un langage second, dont l'abstraction est dérivée à des fins romanesques : la plus sérieuse des sciences […] vous sert à énoncer le propre de votre désir [...][2].
« Désir », « allégorie », « romanesque », affectation « pathologique », le lexique barthésien relatif à la science linguistique montre à quel point ce qui pourrait relever de l'objet d'étude rationnel et froid est fortement relié à la subjectivité. Cette pesée des « phrases » et du « style » dans le guidage de l'existence a remarquablement été montrée par Marielle Macé à travers ce qu'elle nomme, après Michel Foucault, les « stylistiques de l'existence » ; de Roland Barthes, elle fait incidemment remarquer que « c'est par la grammaire que lui est venue une existence dramatique, sur un terrain où les problèmes vitaux se déploie en une sorte de théâtre verbal[3] ». Nous ne pourrons que dire ici notre proximité avec une telle pensée, à laquelle d'ailleurs ce travail doit indirectement beaucoup. Nous poserons donc qu'il existe, au sens plein, une « grammaticalité de l'existence » chez Roland Barthes, ou – pour éclairer une formule par trop abstraite – que les objets d'ordre linguistique et/ou grammaticaux ont tendance à se muer en allégories de valeur existentielle chez lui. Ce postulat mérite de réviser certains enjeux relatifs au rapport de Barthes à ce que l'on appellera – dans un sens extensif – la « grammaire[4] ». Découleront de ce rapide examen les trois étapes que nous entendons poursuivre.
Tout d'abord, une question qui ne laissera pas de fâcher : Barthes était-il un bon grammairien ? Plus profondément, était-il vraiment intéressé par la grammaire? Il faudrait évidemment mener un travail au long cours sur la bibliothèque grammaticale de Roland Barthes pour en avoir une juste appréciation – envisager la réalité de sa culture en la matière, cartographier la genèse de sa pensée linguistique, dénombrer avec exactitude les références aux auteurs savants, mesurer dans le fichier la réappropriation du texte source par le truchement du geste notateur – ; mais l'on peut déjà dire – comme le constate d'ailleurs Barthes – qu'il prend généralement plaisir à « éloigne[r][5] » le concept grammatical loin de son application strictement scientifique. Aussi, ce qui est en jeu c'est moins une grammaire universitaire qu'un imaginaire de la grammaire qui habite l'œuvre de Barthes. Cela nous conduit à nuancer la thèse de Gilles Philippe qui fait de Barthes le terminus ad quem d'un « moment grammatical » propre aux lettres françaises, en héritant puis en refoulant la culture scolaire de la IIIe République. Pour juste qu'elle soit, l'analyse n'envisage pas les réinvestissements nombreux de cette même culture, non plus à des fins scientifiques certes, mais à des fins subjectives. Or, c'est là un chapitre essentiel du dernier Barthes : la grammaire n'est pas exactement « refoulée » dans son écriture, elle recouvre au contraire des enjeux épistémologiques nouveaux en favorisant l'épreuve de l'affectivité et en s'articulant à une écriture de soi.
Cet imaginaire linguistique induit l'image d'un corps auctorial éprouvant de manière passionnée – au double sens du terme – les structures du langage. Que la langue soit « fasciste », que les adjectifs soient du « côté de la mort » ou que la négation soit un objet d' « affectivité[6] », tout cela traduit bien une dramatisation concertée des catégories de la syntaxe. Barthes cède-t-il ici à une mode intellectuelle ambiante – propre au milieu des années 1960 comme l'a montré Hélène Merlin -Kajmann – qui voyait dans la langue un monstre terroriste, un objet d'aliénation propre au pouvoir[7] ? Si on ne peut complètement écarter cette thèse, du moins peut-on chercher à en nuancer la portée quant au travail grammatical proprement dit. En effet, c'est d'abord hors de tout positionnement idéologique que Barthes aime à inscrire ce qu'on pourrait appeler son « hypersthésie » des formes syntaxiques, sa sensibilité excessive et pathologique pour les catégories du discours. Son intérêt constant pour le corps grammaticalement souffrant de l'écrivain (celui de Flaubert, de Michelet, de Valéry et, surtout, de Saussure) traduit avant tout une projection d'obsessions propres ; la scénographie auctoriale de Barthes, on le sait, se constitue souvent par investissement fantasmatique dans les figures autres et médiatisation de l'intime par l'imaginaire des idées, et l'on verra qu'à ce titre, la grammaire spéculative de Barthes n'échappe pas à la règle et pose les bases d'une grammaire spéculaire.
Cette forte grammaticalisation du corps recouvre le sentiment – chez le sujet barthésien – de vivre depuis la grammaire. Il l'affirme d'ailleurs sans détours : « je lutte avec la grammaire ; je jouis par elle : par elle me vient une existence dramatique[8]. » Le dernier moment de notre réflexion cherchera alors à cerner les contours singuliers de cette identité grammaticale, qui s'esquisse et se théorise dans les souterrains de l'œuvre, notamment dans son dernier moment. L'on voit en effet que la digression sur « La vie en forme de phrase » – partie allusive de La Préparation du Roman, mais partie ô combien riche de perspectives théoriques (Barthes dit d'ailleurs que « cela deviendra peut-être un sujet de cours plus tard[9] ») – cherche à fédérer et à problématiser un souci jusqu'alors latent : la manière dont l'existence peut être guidée, au sens le plus fort, par l'empreinte de Phrases ou de citations qui préexistent au sujet. Barthes évoque là un problème d'ordre « philosophique » et dit s'intéresser à « la formation des Images du Moi par la médiation de Phrases. » Cette proposition incidente subsume, selon nous, une figuration de soi, depuis la phrase littéraire certes, mais aussi et surtout depuis la texture grammaticale de cette même phrase. Nous nous intéresserons donc, dans ce dernier point, à la manière dont le moi barthésien se scénographie par l'intermédiaire des drames grammaticaux qui l'affectent et qui, en conséquence, lui imposent une éthique existentielle fondée sur un imaginaire linguistique. Dans cette perspective, l'on verra que les réflexions sur l'adjectif, l'assertion, l'aoriste, le passé simple, la négation, la personne pronominale ou encore le neutre, composent par l'indirect le portrait en éclat de l'auteur.
Gilles Philippe a montré dans le détail combien la représentation de la littérature était nourrie d'un imaginaire grammatical dans l'entre-deux guerres[10]. On se querelle sur le style de Flaubert en se demandant s'il est permis d'être un grand écrivain sans être, avant tout, un bon grammairien ; on enseigne la grammaire à partir des textes littéraires et on enseigne la littérature depuis une juste appréciation grammaticale ; la critique d'auteur est avant tout une critique de la langue littéraire et Lanson s'affirme comme le grand critique et réformateur de son temps. Comme enfant de la IIIe République, Roland Barthes est un rejeton de ce « moment grammatical » ; il s'ouvre à la littérature après la grande réforme de 1902 et on peut affirmer à bon droit que sa culture scolaire – bourgeoise de surcroît, au lycée de Bayonne puis à Louis-Le-Grand – va en porter la marque. Cette atmosphère grammairienne de l'enfance transparaît remarquablement – mi-ironique, mi-nostalgique – dans une petite anamnèse de Roland Barthes par Roland Barthes :
Très distingué, M. Grandsaignes d'Hauterive, professeur de Quatrième, maniait un lorgnon d'écaille, avait une odeur poivrée ; il divisait la classe en "camps" et "bancs", pourvus chacun d'un "chef". Ce n'était que joutes autours des aoristes grecs[11].
Cependant, le geste critique de Barthes – inauguré dans l'après-guerre, au moment même où la littérature commence à sortir de son intermède grammatical – va être constamment amener à s'inscrire en faux par rapport à cet héritage. L'un de ses premiers articles, publié sous le titre « Faut-il tuer la grammaire ?[12] » dans le journal Combat dit assez bien le credo qui sera celui de Barthes vis-à-vis d'une certaine grammaire normative. L'idée jamais dessaisie est que l'image d'une grammaire universelle et d'une langue pure n'est que l'expression du pouvoir en place : elle relève du mythe. Il y a autant de grammaires que de parlers sociaux et l'écrivain contemporain doit donc évacuer de sa représentation langagière l'idée de norme grammaticale et envisager une diction du monde dans une dimension moins monolithique. C'est peu ou prou la même condamnation que fait Barthes du roman bourgeois dans Le Degré zéro de l'écriture. La cible est là encore grammaticale mais plus précise dans ses visées. L'usage du « passé simple » vaut comme l'expression factice d'un ordre stable ; il instaure une vraisemblance et une continuité là où précisément il n'y a que désordre et turbulence des existences. L'attaque se veut aussi politique dans le sens où le « passé narratif » est au service d'une aliénation du réel par la société bourgeoise : « La finalité commune du Roman et de l'Histoire narrée, c'est d'aliéner les faits : le passé simple est l'acte même de possession de la société sur son passé et son possible[13]. » Le pronom de « troisième personne » subit le même anathème ; bien que plus nuancé, Barthes nous dit qu'il est la convention même qui signale le rituel des Belles-lettres ; le il « fournit à ses consommateurs la sécurité d'une fabulation crédible et pourtant sans cesse manifesté comme fausse[14]. » Nous ne pouvons ici que présenter les choses à grands traits ; ce qu'il faut bien voir c'est que Barthes, même dans l'avancée tardive de l'œuvre, conservera toujours ce soupçon viscéral à l'égard du code prescriptif qu'incarne la grammaire. Ainsi, les analyses qu'il égrène dans la Leçon ou dans les cours au Collège de France n'émanent certes plus directement d'une critique marxiste mais ancrent les accusations à l'encontre de la grammaire à une profondeur plus anthropologique : c'est la structure même de la langue – donc son code grammatical et son maillage prescriptif – qui aliène le locuteur. On cite à l'envi de mot de « fascisme » prononcé par Barthes ; on retient moins la réflexion d'ordre syntaxique qui sous-tend cette vision pessimiste de la langue et qui a trait, pour l'essentiel, à la modalité (assertion/négation), au genre (masculin, féminin, neutre) et aux pronoms (je/tu-vous).
Par cette hostilité affirmée et progressive à l'égard de la grammaire, on est tenté – à l'instar de Gilles Philippe – de voir en Barthes le terminus ad quem de ce moment grammatical de la littérature française. Pour Barthes, la littérature ne saurait plus se confondre avec un emploi codifié de la langue ; au contraire, l'important est maintenant de « tricher[15] » la langue, là où la génération antérieure voulait la canoniser. Cependant, peut-on pour autant conclure à une « dégrammaticalisation » complète de la pensée littéraire de Barthes ? Si les arguments avancés par Gilles Philippe sont certes convaincants (ils montrent notamment, avec précision, comment la critique de Barthes se déprend progressivement des tics grammaticaux qui sont au contraire très présents chez le Sartre d'avant-guerre), ils tendent toutefois à donner l'image d'un complet refoulement de la question grammaticale chez Barthes. Or, la redécouverte de Saussure et le compagnonnage constant de la pensée de Barthes avec des linguistes comme Benveniste ou Jakobson lui offre une force de réserve toujours vive, porteuse d'enjeux épistémologiques et existentiels toujours féconds.
La grammaire demeure trop présente dans l'imaginaire et la réflexion de Barthes – et ce jusqu'aux derniers textes – pour que l'on puisse parler de refoulement. Au contraire, la sollicitation permanente des analyses syntaxiques formées par les linguistes – Benveniste, Hjelmslev, Jakobson, Saussure, Guillaume, etc. – montre un intérêt constant pour la pensée d'ordre grammatical et la charge conceptuelle qu'elles recèlent. Deux articles majeurs soulignent que Barthes cherche à fonder une théorie de la littérature depuis un examen approfondi des structures fondamentales du langage (« Littérature et linguistique », « Ecrire, verbe intransitif ?[16] »). À ce titre, on voit que « l'écrire moderne[17] » comme dit Barthes se pense en miroir des notions grammaticales forgées par les linguistes de son temps : l'aoriste et le temps du récit (Benveniste) ouvrent sur une réflexion relative à la temporalité de l'énonciation ; les structures des relations de personne dans le verbe (Benveniste, Jespersen, Jakobson) appellent à une appréhension beaucoup plus lâche et beaucoup plus indécidable du « je » tel qu'il se distingue dans les récits contemporains (Sollers, Robbe Grillet); la diathèse, et son opposition topique entre passif/moyen (Benveniste, Meillet), devient l'expression même de la « voix moyenne » caractéristique de l'écriture moderne, écriture où l'écrivain affecte la langue tout autant qu'il s'auto-affecte à son contact. Nous ne sommes certes plus ici dans l'appréciation de la littérarité de l'œuvre depuis la « grammaire normative » mais bien dans une relation critique au littéraire depuis les outils de la « grammaire descriptive ». Il n'empêche que ces jeux multiples de va-et-vient entre grammaire et théorisation littéraire prouvent que le « moment grammatical » demeure, même sous une forme évolutive.
On pourrait presqu'affirmer que la grammaire, bien loin de participer d'un refoulement, travaille davantage à un défoulement de l'écriture. C'est là le noeud que nous voudrions saisir et la thèse que nous souhaiterions soutenir. L'imaginaire théorique et scriptural de Barthes semble se relancer en effet depuis le concept grammatical. Non pas dans une application stricte mais selon un travail de mise en dérive créatif. Le métatexte est ici particulièrement parlant et nombreux sont les passages qui prônent une métaphorisation du grammatical :
Il fait une application à la fois stricte et métaphorique, littérale et vague, de la linguistique à quelque objet éloigné […]. Il n'invente pas, il ne combine même pas, il translate : pour lui, comparaison est raison : il prend plaisir à déporter l'objet par une sorte d'imagination qui est plus homologique que métaphorique […] [18].
Ce déport se fonde en « raison » et la restriction de la métaphore à l'homologie cherche à souligner le lien natif avec le concept emprunté. Plus fortement, Barthes investit la métaphore d'un pouvoir heuristique qui n'est pas sans faire écho au travail de Paul Ricoeur sur la « métaphore vive » dans les mêmes années. C'est du moins la prétention affichée de « Linguistique et littérature » :
Je ne cache pas que cette confrontation [entre linguistique et littérature] n'a pas une force démonstrative et que sa valeur reste pour le moment essentiellement métaphorique : mais peut-être aussi, dans l'ordre d'objets qui nous occupe, la métaphore a-t-elle, plus que nous le pensons, une existence méthodologique et une force heuristique [19].
L'image – ou la métaphore linguistique – est pensée ici comme une force inédite de cognition : en reconfigurant le sens littéral et en le tissant à quelque nouvel ordre de connaissance, l'imaginaire grammatical peut atteindre à une vérité informulée du sujet. Cette pesée métaphorique sur des concepts issus de la grammaire offre-t-elle à Barthes une « aurore de parole[20] », comme dit Ricoeur, une nouvelle façon de dire son rapport au monde et ses perceptions d'ordre sensible ? Un seul exemple nous montrera ce travail de reconfiguration de l'objet grammatical. Prenons le cas de l'aoriste, temps spécifique à certains systèmes verbaux et que ne connaît pas précisément la langue française, sinon sous des formes voisines. Dans une note manuscrite qu'a bien éclairée Jean-Louis Lebrave[21], l'on voit Barthes « ficher » les Problèmes de linguistique générale de Benveniste ; il y décalque presque mot pour mot le chapitre consacré aux « relations de temps dans le verbe français » et retient l'opposition majeure entre temps du récit (aoriste) et temps du discours (parfait). Cette note sur l'aoriste sera réinvestie presque sans altération, et dans un contexte essentiellement linguistique, dans « Écrire, verbe intransitif ? » : «Benveniste nous propose […] un second système, ou système de l'histoire, du récit, approprié à la relation des événements passés […] et dont le temps spécifique est l'aoriste (ou ses équivalents, tel notre prétérit) […].[22] » L'aoriste réapparaît plus tard dans La Préparation du Roman, mais sous une forme quelque peu distendue car il vient désormais à qualifier la temporalité toute particulière du haïku, son fameux « Ça-a-été ». Barthes reprend Benveniste au risque d'opérer quelque distorsion : « Rappeler avec Benveniste (Problèmes de linguistique générale, I, 239-240) que l'expression du passé en général = 1) aoriste (passé simple, défini) ; 2) parfait (passé défini : j'ai lu, j'ai été […][23]. » Enfin, dans une reconquête plus phénoménologique et dans une acception beaucoup plus lâche, l'aoriste constitue la « trouvaille » pour dire le temps de la photographie et l'affect qui lui est inhérent : « […] le punctum, c'est : il va mourir. Je lis en même temps cela sera et cela a été ; j'observe avec horreur un futur antérieur dont la mort est l'enjeu. En me donnant le passé absolu de la pose (aoriste), le photographe me dit la mort au futur[24]. »
On commence à le voir, la force de la grammaire dans l'imaginaire barthésien tient pour une grande part à la puissance d'allégorisation qu'il lui confère. Traiter de la grammaire dans l'œuvre de Barthes, c'est donc envisager ce travail de « déport » et son intégration dans une poétique qui joue à fictionnaliser les objets de savoir. Cela nous empêche – on le redit – de voir en Barthes la fin d'un « moment grammatical », et nous conduit plutôt à faire du matériau grammatical le levier d'une nouvelle forme d'écriture que Barthes théorise dans le courant des années 1970 sous le nom de : « romanesque de l'Intellect ». À cet égard, il y a une déclaration-cadre de Barthes, qui se trouve être pour nous à l'origine de cette communication. Nous l'avons déjà citée en partie, revenons-y en détail :
Ce procédé est constant chez vous : vous pratiquez une pseudo-linguistique, une linguistique métaphorique, [...] les concepts [grammaticaux] viennent constituer des allégories, un langage second, dont l'abstraction est dérivée à des fins romanesques : la plus sérieuse des sciences, celle qui prend en charge l'être même du langage et fournit tout un lot de noms austères, est aussi une réserve d'images, et telle une langue poétique, elle vous sert à énoncer le propre de votre désir [...][25].
La réflexion de Barthes s'échafaude ici en deux temps. D'une part, il souligne que son habitude est de s'emparer des concepts grammaticaux d'un point de vue personnel sans forcément tenir compte de leur signification précise. C'est ainsi qu'une abstraction linguistique particulière – dont l'application scientifique obéit à un contexte défini – devient souvent l'image concrète (une allégorie) d'autre chose. Cette « allégorisation » du concept correspond bien, à un premier niveau, au « romanesque » selon Barthes ; en mettant en dérive l'objet scientifique, elle participe bien au « décollement[26] » du discours savant que Barthes appelle de ses voeux. Par exemple, le concept grammatical du Neutre devient l'allégorie d'une abolition généralisée du sens[27]. En effet, en n'ayant plus à choisir un terme plutôt qu'un autre à l'intérieur d'une distribution binaire (il / elle ; masculin / féminin ; présent / passé), le Neutre offre l'image d'une exemption du sens car le sens – dans l'acception linguistique qu'en propose Barthes – naît justement de l'opposition paradigmatique[28]. C'est ainsi que l'on peut suivre un investissement imaginaire du Neutre depuis L'Empire des Signes (1970) jusqu'aux réflexions sur la matité de la photographie dans La Chambre claire (1980) en passant par le cours sur Le Neutre au Collège de France (1976). Fictionnalisé, le concept grammatical est bien utilisé à des « fins romanesques ».
D'autre part, l'allégorie ainsi créée témoigne en fait de la subjectivité profonde de l'auteur ; c'est bien le sens de la précision indiquant qu' « elle sert à énoncer le propre de votre désir [nous soulignons]». En travaillant à une distorsion évidente de l'objectivité scientifique au profit d'un récit de la subjectivité, l'allégorisation du concept ouvre alors à un second niveau du « romanesque » : elle se lie à une écriture de soi, à une mise en scène de l'imaginaire du sujet par l'usage indirect des « concepts ». Si l'on reprend l'exemple du « Neutre », outre qu'il allégorise une suspension utopique de la tyrannie du sens, il devient une véritable catégorie éthique, une valeur existentielle propre à l'auteur qui entend régler sa conduite dans le monde en refusant l'assertion et le dogmatisme du sens. L'usage de la grammaire à des fins romanesques recouvre donc au final une réalité existentielle, une possibilité subtile de créer une fiction de soi par l'intermédiaire de certaines catégories syntaxiques.
La grammaticalité de l'existence suppose – avant même ce processus d'allégorisation – la capacité de faire une épreuve affective et singulière des structures du langage. Barthes, de façon d'abord indirecte puis de manière explicite, cherche à dire ce rapport charnel qui l'unit à la langue et cette épreuve « hypersthésique » qui le saisit devant les catégories syntaxiques. Il nous faudra ici revenir à Saussure, Flaubert, Michelet et Valéry pour montrer combien – à travers eux – Barthes projette son obsession d'une grammaire corporéisée : « Son lieu (son milieu), c'est le langage : c'est là qu'il prend ou rejette, c'est là que son corps peut ou ne peut pas[29]. »
Saussure. Ou plutôt le « drame » de Saussure. Quand on s'intéresse aux apparitions successives du linguiste suisse dans l'œuvre de Barthes, on ne peut qu'être frappé par un effet de disproportion : d'un côté, des rappels souvent allusifs et convenus aux concepts forgés par Saussure ; de l'autre, une multitude de renvois à l'anecdote psycho-pathologique des Anagrammes . Il faudrait bien sûr en mesurer le ratio exact, mais un simple survol fait déjà apparaître une inclinaison nette en faveur de ce que Barthes appelle le « petit drame scientifique de Saussure », à savoir les recherches inabouties que le linguiste a entreprises entre 1906 et 1909 sur la poésie saturnienne et homérique. En quoi consistent ces Anagrammes ? Rappelons seulement que, sans entrer dans les linéaments d'une recherche qui demeure relativement obscure, en lisant de près les poètes latins et grecs, Saussure en vient à l'intuition que nombres d' entre-eux composaient leurs vers en partant d'un mot-thème dont chacun des phonèmes devaient être utilisés conformément à certaines règles ; d'où l'image d'un Saussure écoutant « les mots sous les mots[30] » selon le livre de Jean Starobinski, obsédé par les anagrammes phoniques et graphiques. Cette anecdote, probablement découverte par l'intermédiaire de Julia Kristeva[31] et des premiers articles de Starobinsky, imprègne durablement la pensée de Barthes :
Cette audition d'un langage dans le langage (fût-il fautif) rappelle une autre audition, tout aussi vertigineuse : celle qui faisait entendre à Saussure dans la plupart des vers de la poésie grecque, latine et védique un second message, anagrammatique.
Un autre Saussure existe, on le sait : celui des Anagrammes. Celui-là entend déjà la modernité dans le fourmillement phonique et sémantique des vers archaïques : alors plus de contrat, plus de clarté, plus d'analogie, plus de valeur : […] On sait combien cette écoute a affolé Saussure, qui semble ainsi avoir passé sa vie entre l'angoisse du signifié perdu et le retour terrifiant du signifiant pur.
Il avait beaucoup profité du Cours de Saussure, mais Saussure lui était indéfiniment plus précieux depuis qu'il connaissait la folle écoute des Anagrammes[32].
Et ailleurs, presque au hasard : c'est l'écoute des anagrammes qui « obsèd[e] Saussure » ; « le grouillement [des] voix » qu'entend Saussure ; le langage qui « affol[e] Saussure[33] ».
On le voit, ce qui retient Barthes, et que son lexique met en avant (fou, folle écoute, drame, angoisse, désespoir, malheur, etc.), c'est le corps du savant en état de souffrance langagière, mis en douleur par une perception trop accrue du langage. L'insistance indique assez bien la mutation du linguiste en objet d'ordre fantasmatique. Par ailleurs, le registre anecdotique montre l'infléchissement du problème scientifique vers un traitement romanesque : Saussure a tout d'un personnage de fiction dans lequel tendent à se refléter les obsessions de Barthes. À travers lui, ce sont ses propres affects que Barthes fait résonner dans un vaste élan de « sausurrisme », il voit et entend comme Saussure :
Autrement dit le sens obtus n'est pas situé structuralement, un sémantologue ne conviendra pas de son existence objective (mais qu'est-ce qu'une lecture objective?), et s'il m'est évident (à moi), c'est peut-être encore, (pour le moment) par la même "aberration" qui obligeait le seul et malheureux Saussure à entendre une voix énigmatique, inoriginée et obsédante, celle de l'anagramme, dans le vers archaïque.
Ailleurs, à propos des « coups » que lui seul perçoit à l'audition de Schumann, Barthes dit reconnaître : « la structure même du paragramme : un texte second est entendu, mais, à la limite, tel Saussure à l'écoute des vers anagrammatiques, je suis seul à l'entendre[34]. »
Le plaisir pris aux troubles physiologiques des savants – a fortiori des savants faisant l'épreuve douloureuse des structures du langage – est une constante chez Barthes. Ils constituent ce qu'il appelle les bonheurs de « La science dramatisée » :
[…] il aimait les savants chez lesquels il pouvait déceler un trouble, un tremblement, une manie, un délire, une inflexion ; il avait beaucoup profité du Cours de Saussure, mais Saussure lui était indéfiniment plus précieux depuis qu'il connaissait la folle écoute des Anagrammes ; chez beaucoup de savants il pressentait ainsi quelque faille heureuse, mais la plupart du temps, ils n'osaient aller jusqu'à en faire une œuvre : leur énonciation restait coincée, guindée, indifférente[35].
Au delà de Saussure – lequel constitue, on l'a vu, une sorte de cellule romanesque, relancée selon les besoins de la réflexion – les cas « cliniques » de Flaubert, Michelet et Valéry sont également convoqués. Le grand article intitulé « Flaubert et la phrase » (1967) revient sur le mythe flaubertien de l'écrivain polissant ses phrases jusqu'à la perfection. Barthes substitue à la vision convenue et parfois trop hagiographique, une analyse attentive à une linguistique de la correction (permutation, censure, expansion) qui emprunte beaucoup à André Martinet ; très vite il fait émerger le vertige qui saisit Flaubert devant l'expansion quasi-infinie de ses corrections. Ce qui est intéressant ici, ce n'est pas tant la finesse de l'analyse que le registre martyrologique mis en place par Barthes pour décrire le travail de Flaubert. Les fautes de Flaubert sont ses « croix » ; les corrections « engagent l'écrivain à vivre la structure du langage comme une passion » ; la phrase est pour Flaubert un « drame ». Comme chez Saussure – que Barthes relie significativement à Flaubert dans une note de bas de page – ce qui fascine Barthes, c'est l'écoute d'un langage sous le langage, la perception pathologique des structures verbales. Il y revient d'ailleurs dans Roland Barthes par Roland Barthes en unissant à nouveau le couple : « Au dossier de la double écoute : […] les délires auditifs de Flaubert (en proie à ses "fautes" de style) et de Saussure (obsédé par l'écoute anagrammatique des vers anciens)[36]. » Le Michelet annonçait déjà pareil souci ; on se souvient du premier chapitre sur le corps souffrant de l'historien et de ses fameuses « migraines historiques » ; Michelet est « malade de l'Histoire » car il « voit » l'histoire à la manière d'un écrivain voyant la substance du langage :
Le corps entier de Michelet devient le produit de sa propre création, et il s'établit une sorte de symbiose surprenante entre l'historien et l'Histoire. Les nausées, les vertiges, les oppressions ne viennent plus seulement des saisons et des climats ; c'est l'horreur même de l'histoire racontée qui les provoque : Michelet a des migraines "historiques". Ne voyez là aucune métaphore, il s'agit bien de migraines réelles […].[37].
Même si Barthes reconnaît dans un entretien de 1980 n'avoir rien écrit sur Valéry, les allusions à l'auteur de M. Teste décrivent un homme travaillé par la « condition essentiellement verbal de la littérature[38] », un penseur de la matérialité de la phrase ; dans La Préparation du Roman, il dit de lui ce qu'il dit de lui-même à propos de la vision du langage : « (il) pense la pensée en termes de quantité syntagmatique ; très paradoxal pour l'époque (ce fut l'originalité de Valéry de voir les formes textuelles [...][39] ». Est-ce à ce titre que, à l'instar de Flaubert, il se trouve rapproché de Saussure dans « Saussure, le signe, la démocratie » ? : « Saussure a du langage une conception qui est très proche de celle de Valéry – ou réciproquement : peu importe : ils n'ont rien connu l'un de l'autre[40]. »
Cette éthologie des intellectuels affectés d'une hypersthésie des formes du langage peut se lire comme un « réseau organisé d'obsessions[41] » propres. En effet, tous ces plis d'ordre pathologique valent comme un autoportrait oblique de l'auteur. Barthes projette avant tout ses affects et ses fantasmes dans ces autres corps, qui valent tous étrangement comme le corps étendu du critique. Tous ces traits épars se lisent comme autant de biographèmes transpersonnels à partir desquels il faut relier la figure de Barthes. C'est d'abord une communauté discrète de sensation : Barthes nous dit qu'à l'instar de Saussure, il est capable d'« entendre » le sens obtus ou le battement schumanien ; plus concrètement, c'est par la catégorie du « voir » que l'identification est la plus nette ; si Michelet voit « l'histoire », si Saussure voit « les mots sous les mots » et si Valéry voit les « formes textuelles » sous les syntagmes, c'est qu'avant tout Barthes voit le langage et pense son corps dans une relation pathétique avec la grammaire. Dans un sens étendu, bien sûr, au sens où c'est la gramma (le « signe écrit », la « lettre ») qui imprime au corps une certaine affectivité ; dans un sens restreint aussi, dans le sens où c'est bien la grammaire – d'un point de vue plus étroitement syntaxique – qui semble régir le corps barthésien. L'aveu se formule sans ambiguïté dans Le Neutre :
Souvent ici référence à des faits de langue : affirmation, adjectif, et même des faits de grammaire. C'est que pour moi – j'y crois dur, de toute la force obstinée de mon affect – la langue est pathétique : je lutte avec la grammaire ; je jouis par elle : par elle me vient une existence dramatique[42].
S'échafaude ainsi, avec le plus grand sérieux, une scénographie auctoriale qui met en scène un corps grammatical, ou comme le dit énigmatiquement Barthes, une « pensée du corps en état de langage[43] ». Posture ? Pose ? Mode ? Pas véritablement, car de telles déclarations demeurent souterraines, elles se formulent par l'indirect et dans les aveux marginaux du texte ; et pourtant, quelque chose s'affirme avec insistance, quelque chose qui est une réactivité particulière devant la grammaire :
J'ai ressenti à quel point la syntaxe pouvait protéger celui qui parlait. Elle est une arme à double tranchant parce qu'elle peut aussi être un instrument d'oppression – elle l'est très souvent –, mais quand le sujet est très démuni, très offert, très seul, la syntaxe le protège[44].
Souffrir de la syntaxe, se lover dans la syntaxe. Le sujet s'auto-affecte – advient à la reconnaissance de soi-même, de son ipséité – dans le face à face grammatical :
[…] par le poids de la syntaxe, il doit être ce sujet-là et non un autre (par exemple : devant fatalement se déterminer, dès qu'il parle, par rapport au masculin / féminin, au vous/tu) : les rubriques de la langue sont des lois coercitives, , qui l'obligent à parler […][45].
C'est donc une proposition existentielle forte et singulière qu'esquisse ici Barthes et qu'il nous invite à questionner.
On en arrive donc à la proposition suivante : existe-t-il une « identité grammaticale » constitutive du sujet barthésien ? Comment se théorise-t-elle ? Qu'est-ce que, concrètement, vivre selon la grammaire ? Comment les catégories syntaxiques – ressenties dans l'affect puis allégorisées sous la forme de valeurs existentielles – dessinent la plaque sensible où s'impriment les linéaments de la subjectivité ?
Barthes commence à théoriser, vers la fin des années 1970, cette possibilité d'une idiosyncrasie linguistique et/ou grammaticale. La formulation la plus aboutie que nous en ayons relève encore de la prospection. C'est dans La Préparation du Roman, une sous-section du 10 mars 1979, en partie retranchée car Barthes, pressé par le temps, précise : « Cela deviendra peut-être un sujet de cours plus tard, n'ayons donc pas de regret[46]. » Intitulé la « Vie en forme de Phrase », il s'agit d'un « dossier qui [le] poursuit » souligne Barthes. L'argument est bien connu : la Phrase – comme entité linguistique – peut être analysée sous plusieurs aspects : esthétique, idéologique, psychologique. Barthes relève aussi en elle un « problème "philosophique" » : les phrases préexistant absolument au sujet parlant, nous sommes toujours déjà parlés par un code antérieur ; au « je parle donc je suis » Barthes substitue « (quelqu'un parle, donc je suis) ». On retrouve là, discrètement, Benveniste et ses analyses sur la subjectivité dans le langage : « C'est dans et par le langage que l'homme se constitue comme sujet ; parce que le langage seul fonde en réalité, dans sa réalité qui est celle de l'être, le concept d'"ego"[47]. » De là, Barthes infère que c'est l'existence tout entière qui doit être pensée comme régie et guidée par les Phrases :
À ce niveau, vivre, au sens le plus actif, le plus spontané, le plus sincère, et je dirai le plus sauvage, c'est recevoir les formes de la vie des phrases qui nous pré-existent – de la Phrase absolue qui est en nous et nous fait[48].
Ce champ d'investigation a été remarquablement déplié par Marielle Macé, ici même, dans un exposé intitulé « Barthes, phrase et individuation » ; puis bien sûr dans Façons de lire, manières d'être[49]. Elle a bien montré comment le style, la phrase, la citation littéraire informent des conduites existentielles et ont force de proposition dans l'appréhension du monde. C'est un objet riche, complexe, tant il recoupe une philosophie de la réception esthétique et, à un certain niveau, les thématiques ricœuriennes de l'identité narrative. Barthes le dit clairement en réinvestissant la notion de « bovarysme » :
Il y aurait donc lieu d'étudier (et ce serait vaste, car nullement borné à la "bonne" littérature) ce que l'on pourrait appeler l'Imaginaire littéraire ou textuel : il ne s'agit pas d' « imagination » […] mais de formation des Images du Moi à travers la médiation de Phrases […][50].
Concrètement, il évoque les leurres existentiels dont est victime Emma Bovary avant de mentionner le pouvoir hallucinatoire des cathédrales décrites par Ruskin sur Proust. Ajoutons enfin que ce fantasme d'exister à partir d'un indice textuel, Barthes en décrit le processus sur lui-même dans le dernier texte écrit de sa main. À partir d'un seul signe à la sonorité italienne – lui-même relayé par une « phrase » de Stendhal qui pré-existe dans la mémoire et qui ouvre sur une Italie mythico-littéraire – c'est toute une projection d'ordre existentiel qui se met en branle, une volonté de vivre dans un là-bas médiatisé par la bibliothèque :
Le soir, à la gare de Milan, il faisait froid, brumeux, crasseux. Un train partait; sur chaque wagon, une pancarte jaune portait les mots "Milano-Lecce". J'ai fait alors un rêve: prendre ce train, voyager toute la nuit et me retrouver au matin dans la lumière, la douceur, le calme d'une ville extrême. C'est du moins ce que j'imaginais et peu importe ce qu'est réellement Lecce, que je ne connais pas. Parodiant Stendhal, j'aurais pu m'écrier: "Je verrai donc cette belle Italie! Que je suis encore fou à mon âge!" Car la belle Italie est toujours plus loin, ailleurs[51].
Plus spécifiquement, et c'est là où nous voulons en venir, l'acception volontairement lâche du mot « Phrases » peut nous conduire à envisager un type de projection existentielle dont la médiation se ferait au travers de catégories syntagmatiques plus réduites que la seule « Phrase » : le temps, le verbe, l'adjectif, le pronom ou encore le type de phrase. En effet, le sujet barthésien est affecté aussi bien par des Phrases que par des objets grammaticaux plus précis, et il n'est pas rare de voir un glissement s'opérer des premières aux seconds :
Pour Flaubert, la phrase est à la fois une unité de style, une unité de travail et une unité de vie.
La négation […] est un objet linguistique de vie, d'affectivité[52].
Indifféremment, la « phrase » comme la « négation » sont pourvues d'une charge existentielle, la désignation est exactement parallèle (« unité de vie » ou « objet de vie »). Plus directement, on le rappelle, c'est bien des formes de la grammaire que Barthes dit recevoir une « existence dramatique[53] ». Ajoutons encore que, dans ce passage de La Préparation du Roman, Barthes hésite quant à la désignation exacte de cette forme d'« individuation » : doit-on parler d'imaginaire littéraire (lequel désignerait une réserve d'exemples et de citations pris dans un canon littéraire constitué) ou d'imaginaire textuel (lequel serait extensible à toute formulation linguistique, fût-elle réduite à quelque syntagme usuel ) ? Enfin, sa terminologie achoppe souvent entre La Phrase (unité structurellement définie) et Les Phrases (objet plus incertain à l'extension plus floue). Nous poserons donc que, selon le postulat de Barthes, l'on peut recevoir les formes de la vie aussi bien des catégories grammaticales que des phrases qui nous pré-existent – si tant est que les deux ne sont pas déjà exactement synonymes dans l'esprit de Barthes.
C'est là peut-être l'une des grandes singularités de Barthes : souterrainement « l'identité grammaticale » est pensée en amont de « l'identité narrative ». L'ensemble de l'œuvre est ainsi jalonnée par de grandes oppositions grammaticales qui esquissent en creux les lignes d'une subjectivité se comprenant dans un contact réactif avec la langue. Dressons – trop rapidement – une typologie de ses principaux affects grammaticaux :
La modalité : assertion VS négation
C'est un grand thème barthésien, son propre « drame » si l'on reprend l'expression qu'il emploie à propos de Saussure. La langue est pour lui irréductiblement prédicative. Dès lors que l'on parle nous affirmons, nous posons du sens ; le suspens du sens (son assomption, dirait Barthes) ne peut qu'être indirect et passe alors par la catégorie « heureuse » – bien qu'imparfaite – de la négation :
[…] je suis condamné à l'assertion : il manque en français (et peut-être en toute langue) un mode grammatical qui dirait légèrement (notre conditionnel est bien trop lourd) […]
quadrature du cercle, aporie, désespoir du langage : son impuissance à permettre au sujet la perfection (le repos) du négatif[54].
Les catégories temporelles : parfait VS aoriste
Ce sont deux catégories temporelles sont souvent prises chez Barthes dans une indétermination de valeur qui tient pour l'essentiel à la difficile appréhension de l'aoriste en français. Temps du passé indéterminé, du « il était une fois », de l'amuïssement de la personne au profit de l'action pure, l'aoriste est difficilement traduisible car nous avons perdu sa dimension aspectuelle. Les particularités grammaticales sont bien sûr plus complexes dans le détail ; retenons simplement que Barthes, malgré ses oscillations sémantiques, cherche à travers lui – et dans son opposition avec le parfait – à qualifier un rapport au passé qui soit satisfaisant sur le plan de sa propre subjectivité. L'aoriste, d'abord associé au passé simple, est chargé de valeurs négatives. Il est le temps factice de l'événement romancé par la littérature bourgeoise[55] quand il n'est pas le temps de l'Imaginaire, le temps narcissique du sujet se racontant de façon romanesque : « l'imaginaire vient à pas de loup, patinant en douceur sur un passé simple, un pronom, un souvenir, bref tout ce qui peut se rassembler sous la devise même du Miroir et de son Image : Moi, je[56]. » L'opposition aoriste/parfait est ressaisie dans des termes plus phénoménologiques au moment de la qualification du « Ça-a-été ! », dont l'exclamation – on le sait – signale chez Barthes l'attitude devant un objet esthétiquement fort (le haïku, puis la photographie). Une lecture de détail nous montre que Barthes peine à trancher le régime temporel précis de ces deux réalisations artistiques, souvent il le fait migrer ou le laisse dans une marge d'indécidabilité :
Où se place le "Ça a été" du haïku ? […] non pas l'aoriste (ce fut), mais bien entendu le parfait, temps de l'évocation, du lien affectif entre ce qui a eu lieu et ce que je suis en me remémorant […] Et la Photo ? Je ne sais ; à analyser plus tard. Certainement : largement au parfait – mais peut-être des photos à l'aoriste (par exemple vignettes du Larousse).
En me donnant le passé absolu de la pose (aoriste), le photographe me dit la mort au futur.
Non seulement la Photo n'est jamais, en essence, un souvenir (dont l'expression grammaticale serait le parfait, alors que le temps de la Photo, c'est plutôt l'aoriste), mais encore elle le bloque, devient très vite un contre-souvenir[57].
Tantôt au « parfait », tantôt à « l'aoriste », tantôt dans un régime hybride, le « Ça-a-été » est à l'origine de divers renversements ; ce qui est intéressant c'est que Barthes – progressivement – s'éloigne des acceptions linguistiques de ces deux temps pour leur substituer une acception reliée à l'affect et au processus mémoriel. C'est alors que, encore une fois, cette grammaire du passé devient porteuse d'enjeux existentiels : la force ambigüe du « Ça-a-été » tient précisément dans cet entre-deux idéal où elle pose la subjectivité, à la fois suspendue (figée sous cet éloignement « vitrifié » que dit l'indétermination de l'aoriste) et sous-jacente (revenant indirectement dans une manifestation mémorielle que dit le parfait).
La personne : les shifters
L'intérêt de Barthes pour les « shifters » – ces « embrayeurs », selon Jakobson, qui ont pour fonction d’articuler l’énoncé sur la situation d’énonciation et qui changent de sens selon cette même situation (je/ tu, ici/ là, maintenant/demain, etc.) – reconduit le souci de mettre en fuite la subjectivité et fantasme (« Le shifter comme utopie », écrit Barthes) un régime existentiel où le sujet demeurerait insituable.
le je linguistique peut et doit d'abord se définir d'une façon a-psychologique : je n'est rien d'autre que « la personne qui énonce la présente instance de discours contenant l'instance linguistique je » (Benveniste)
De là, il imagine les shifters […] comme autant de subversions sociales, concédées par la langue, mais combattues par la société, à laquelle ces fuites de subjectivité font peur et qu'elle colmate toujours en imposant de réduire la duplicité de l'opérateur [...][58]
En me donnant le passé absolu de la pose (aoriste), le photographe me dit la mort au futur.
La marque : l'adjectif VS le Neutre
Enfin, la plus connue des allégories linguistiques, concerne bien évidemment le Neutre. Grammaticalement, en français du moins, le neutre, n'est pas vraiment exprimable ; c'est donc, en creux, par ses anti-figures grammaticales, que Barthes cherche à le définir. Au premier rang de l' « anti-neutre » on retrouve bien sûr, et à de multiples reprises, une dénonciation de l'adjectif[59] qui affecte sur un mode dramatique le sujet barthésien :
[…] abolir entre soi, de l'un à l'autre, les adjectifs : un rapport qui s'adjective est du côté de l'image, du côté de la domination, de la mort.
[…] l'adjectif je le reçois toujours mal, comme une agression, et cela dans tous les cas, dans toutes les figures de valeur où il m'est adressé[60].
Cette trop rapide typologie montre déjà combien la dramatisation du fait grammatical se relie toujours à une volonté éthique, à un mode de conduite existentielle. Plus précisément, on voit bien qu'à travers chacune de ces catégories l'identité grammaticale de Barthes est une identité « réactive », toujours dans une volonté de soustraire le sujet à quelque figement que ce soit.
Au final, ces éclats de subjectivités grammaticales composent un portrait en mosaïque de la figure de l'auteur. Le rapport à la grammaire – la manière dont la vie du critique se dit affectée par des catégories d'ordre syntaxique – soulève donc la question de la « posture d'auteur[61] ». Quelle image Barthes parvient-il à donner de lui-même ? Comment la comprendre ? De quelle stratégie auctoriale participe-t-elle ? La « Posture » constituée nous paraît double. D'une part, on a l'image d'un écrivain à la mode grammairienne , un sémiologue et théoricien structuraliste, un compagnon de route des grands linguistes de son temps qui n'hésite pas à adopter – au risque de raccourcis – leur jargon scientifique ; d'autre part, on a l'image d'un écrivain grammaticalement affecté par les catégories du langage, un sujet qui a une « maladie », qui voit la langue et qui construit dans le souterrain de son œuvre un petit drame d'ordre grammatical. L'image est donc fortement duplice car elle oscille sans cesse entre la posture théoricienne et la posture affective. Mais le rapport doit être pensé en relation et non en opposition. C'est là toute l'ambiguïté qui fait la particularité de l'autobiographie barthésienne : le moi s'appréhende par la médiation de la théorie ou par l'imaginaire des idées et la grammaire – selon nous – en constitue un pan structurellement fort. L'on pourrait donc dire – en paraphrasant Magali Nachtergael qui a très justement perçu la scénographie barthésienne à l'œuvre par l'intermédiaire des images[62] – que, chez Barthes, : « l'image de soi est médiatisée par [la grammaire], elle-même scénographiée comme une petite fiction intime et commentée avec la distance de la théorie. »
Dans Le Crépuscule des Idoles, Nietzsche affirme son athéisme en dénonçant une étrange croyance : « je crains que nous ne puissions nous débarrasser de Dieu, parce que nous croyons encore à la grammaire[63] » . Croire à la grammaire comme on croit à un Dieu, c'est la juger digne de foi sans remise en cause préalable, c'est se laisser penser par elle au risque d'une forte aliénation. La grammaire est-elle, pour autant, le dieu caché de l'œuvre de Roland Barthes ? À défaut d'en pointer la croyance, notre parcours a essayé d'en souligner la force d'insistance. Présente dans la coulisse de l'œuvre depuis l'un des tout premiers textes publiés (« Responsabilité de la grammaire ») jusqu'au dernier livre imprimé (l'aoriste de La Chambre claire), elle travaille l'imaginaire conceptuel de Barthes en profondeur. Bien sûr, ses éclats sont changeants, elle a des reflets moirés comme aurait dit Barthes. D'abord fortement dénoncée – pour ne pas dire refoulée – elle n'incarne qu'un code prescriptif, un instrument de pouvoir aliénant que la littérature (moderne) doit mettre à bas. Cette première vision, encore teintée de marxisme, va se nuancer au contact de grands linguistes dans la mesure où les catégories syntaxiques, éclairée par la grammaire descriptive, peuvent redéfinir un certain rapport au texte. Mais la grammaire devient surtout, dans les années de maturité, un objet d'affectivité très fort dans lequel le corps ne cesse de s'éprouver ; au sens littéral, Barthes nous dit « souffrir » et « jouir » par la syntaxe, en esquissant ainsi un corps saisi d'hypersthésie devant les catégories du langage. Objet constant de métaphorisation, la catégorie grammaticale se mue alors en allégorie de valeurs existentiels. C'est pourquoi, en dernier lieu, nous avons pu parler d' « identité grammaticale » : le guidage assumé de la vie par l'intermédiaire de la syntaxe constitue indéniablement l'éthique définitoire d'une certaine tenue dans le monde.
- 1) La grammaire à des « fins romanesques »
- 2) Le corps pathétique de la grammaire
- 3) L'identité grammaticale
- Conclusion
Dans cet article, nous posons qu'il existe, au sens plein, une « grammaticalité de l'existence » chez Roland Barthes, ou – pour éclairer une formule par trop abstraite – que les objets d'ordre linguistique et/ou grammaticaux ont tendance à se muer en allégories de valeur existentielle chez lui. Ce postulat mérite de réviser certains enjeux relatifs au rapport de Barthes à ce que l'on appelle ici – dans un sens extensif – la « grammaire ».
NB : Pour tous les renvois aux textes de Roland Barthes – à l'exception des cours et séminaires édités à part – nous nous référons aux cinq tomes des Œuvres complètes publiées par Éric Marty en 2002 : Roland Barthes, Œuvres complètes, Paris, Seuil, 2002. Pour ne pas alourdir les notes de bas de page, nous utilisons les sigles suivants OC I, OC II, OC III, OC IV et OC V pour désigner chacun de ces volumes.
[1]Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 735.
[2]Roland Barthes par Roland Barthes, OCIV, p. 699.
[3]Marielle Macé, Façons de lire, manières d'être, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2011, p.196.
[4]Nous préférerons ici – et sans ignorer le débat sémantique qui est en jeu – le terme de « grammaire » à celui de « linguistique ». D'abord, parce que Barthes l'emploie à l'envi (en concurrence avec celui de « syntaxe »), pour justifier sa très grande réactivité devant la matérialité d'une langue qu'il décompose volontiers en éléments. Ensuite, parce qu'il demeure très attentif, même dans l'usage qu'il fait des écrits linguistiques, à des catégories grammaticales précises plus qu'à une saisie globale du langage en fonctionnement (la neutre, l'adjectif, l'aoriste, la négation, le passe simple, etc.). Enfin – et sans vouloir jouer de la facilité étymologique – car le terme de gramma (« signe écrit », « lettre », « inscription ») nous semble recouvrir, par son extension, ces indices textuels (au sens large) dont l'affect barthésien se dit particulièrement sensible.
[5]Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 637.
[6]Cf. dans l'ordre : Leçon (OC V, p. 432), Roland Barthes par Roland Barthes (OC IV, p. 623) et notes inédites du séminaire sur « Le discours de l'histoire » retranscrites par Maria O'Sullivan (p. 63).
[7]Cf. son analyse circonstanciée de cette doxa propre à la Modernité dans La Langue est-elle fasciste ? Langue, pouvoir, enseignement, Paris, Seuil, 2003.
[8]Roland Barthes, Le Neutre, Notes de cours au Collège de France 1977-1978, Paris, Seuil / Imec, coll. « Traces écrites », 2002, , p. 85.
[9]Roland Barthes, La Préparation du roman I et II. Notes de cours et de séminaires au Collège de France, 1978-1979 et 1979-1980, Paris, Seuil / Imec, coll. « Traces écrites », 2003, p. 147 et suivantes.
[10]Gilles Philippe, Sujet, verbe, complément. Le moment grammatical de la littérature française. 1890-1940, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Idées », 2002.
[11]Roland Barthes par Roland Barthes, OCIV, p. 685.
[12]« Faut-il tuer la grammaire ? », Combat, 26 septembre 1947. Texte qui sera rebaptisé « Responsabilité de la grammaire » (OC I, p. 96-98)
[13]Le Degré zéro de l'écriture, OC I, p. 191.
[14]Ibid., p. 192.
[15]Il est intéressant de noter que le terme revient aux deux extrémités de la carrière critique de Barthes. En 1947 (« Faut-il tuer la grammaire », OC I, p. 98) et en 1977 (Leçon, OC V, p. 433)
[16]Cf. successivement, OC III, p .52-59 et p.617-626.
[17]« Ecrire, verbe intransitif ? », op. cit., p.623.
[18]Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 637.
[19]« Linguistique et littérature », OC III, p. 619)
[20]Paul Ricoeur, La Métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 272.
[21]Jean-Louis Lebrave, « La genèse de La Chambre claire », Item [En ligne], [URL: http://www.item.ens.fr/index.php?id=76061.]
[22]op. cit., p. 620.
[23]Roland Barthes, La Préparation du Roman, op. cit., p. 118.
[24]Roland Barthes, La Chambre claire, OC V, p. 851.
[25]Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 699.
[26]Ibid., p. 667 : « Fiction : mince détachement, mince décollement qui forme tableau complet, colorié, comme une décalcomanie [...] Pourquoi la science ne se donnerait-elle pas le droit d'avoir des visions ? (Bien souvent, par bonheur, elle le prend.) La science ne pourrait-elle pas devenir fictionnelle. [...] Il aurait voulu produire, non une comédie de l'Intellect, mais son romanesque »
[27]B. Comment, Roland Barthes, vers le neutre, Paris, Christian Bourgois, 1991.
[28]Roland Barthes, Le Neutre, Notes de cours au Collège de France 1977-1978, Paris, Seuil / Imec, coll. « Traces écrites », 2002, p. 31 : « Je définis le Neutre comme ce qui déjoue le paradigme, ou plutôt j'appelle Neutre tout ce qui déjoue le paradigme. […] Le paradigme, c'est quoi ? C'est l'opposition de deux termes virtuels dont j'actualise l'un, pour parler, pour produire du sens. Exemples : […] en français l/r, car je lis ≠ je ris […] ».
[29]Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p 632.
[30]Jean Starobinsky, Les Mots sous les mots. Les Anagrammes de Saussure, Paris, Gallimard, coll. « Le chemin », 1971.
[31]Notamment par l'évocation des « paragrammes » dans « Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman » (Critique, n° 239, 1967) puis dans Sêmeiôtikê (Paris, Seuil, 1969).
[32]Cf. successivement : « Flaubert et la phrase » (OC IV, p. 82), « Saussure, le signe, la démocratie » (OC IV, p. 333) et Roland Barthes par Roland Barthes (OC IV, p. 733).
[33]Cf. successivement : Roland Barthes par Roland Barthes (OC IV, p. 651) ; Sarrasine de Balzac. Séminaires à l'École pratique des hautes études (1967-1968 er 1968-1969), Paris, Seuil, coll. « Traces écrites », 2011., p. 124 ; La Préparation du Roman I et II, op. cit., p. 113.
[34]Cf. successivement : « Le troisième sens » (OC III, p. 500) et « Rasch » (OC IV, p. 830).
[35]Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 733.
[36]Ibid., p. 651.
[37]Michelet par lui-même, OC I, p. 302.
[38]« La Mort de l'auteur », OC III, p. 41.
[39]La Préparation du Roman I et II, op. cit., p. 145.
[40]« Saussure, le signe, la démocratie », OC IV, p. 333.
[41] Michelet par lui-même, « avant-propos », OC I, p. 293.
[42]Le Neutre, op. cit., p. 84-85.
[43]Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 719.
[44]« Entretien », OC III, p. 779.
[45]Le Neutre, op. cit., p. 72.
[46]La Préparation du Roman I et II, op. cit., p. 147.
[47]Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1976, p. 259.
[48]La Préparation du Roman I et II, op. cit., p. 149.
[49]Marielle Macé, Façons de lire, manières d'être, op. cit.
[50]La Préparation du Roman I et II, op. cit., p. 149.
[51]« On échoue toujours à parler de ce qu'on aime », OC V, p. 906.
[52]Cf. successivement : « Flaubert et la phrase », OC IV, p. 84 et séminaire sur le « Discours de l'histoire » (retranscription inédite de Maria O'Sullivan, p. 63)
[53]Le Neutre, op. cit., p. 85 : « […] je lutte avec la grammaire ; je jouis par elle : par elle me vient une existence dramatique. »
[54]Cf. successivement : Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 634-635 et Le Neutre, op. cit., p. 74. Cette dernière citation est à rapprocher de la suivante, déjà partiellement citée : « […] La négation apparaît comme un instrument linguistique de vie, d’affectivité, de communication, de non-schizophrénie » (séminaire sur le « Discours de l'histoire », retranscription inédite de Maria O'Sullivan, p. 63.)
[55]Le Degré zéro de l'écriture, OC I, p. 190 et suivantes.
[56]Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 682.
[57]Cf. successivement : La Préparation du Roman I et II (op.cit., p. 118) et La Chambre claire (OC V, p. 863)
[58]Cf. successivement : « Écrire, verbe intransitif ? » (OC III, p. 621) et Roland Barthes par Roland Barthes, (OC IV, p. 738).
[59]Pour un éclairage circonstancié de cette mode de l'anti-adjectif, on consultera avec profit l'ouvrage de Gilles Philippe et Julien Piat (La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, Fayard, 2009.)
[60]Cf. successivement : Roland Barthes par Roland Barthes (OC IV, p. 623) et Le Neutre (op. cit., p. 88).
[61] « […] une posture n’est pas seulement une construction auctoriale, ni une pure émanation du texte, ni une simple inférence d’un lecteur. Elle relève d’un processus interactif : elle est co-construite, à la fois dans le texte et hors de lui, par l’écrivain, les divers médiateurs qui la donnent à lire (journalistes, critiques, biographes, etc.) et les publics. » (Jérôme Meizoz, « Ce que l’on fait dire au silence : posture, ethos, image d’auteur », Argumentation et Analyse du Discours, n°3, 2009).
[62]Magali Nachtergael, « Vers l'autobiographie New Look de Roland Barthes », Image & Narrative, Vol 13, N° 4, 2012, p. 116. En ligne : URL = http://www.imageandnarrative.be/index.php/imagenarrative/article/viewFile/276/232
[63]Nietzsche, Œuvres complètes, T VIII, vol. 1, Paris, Gallimard, 1967, p. 78.
Mathieu Messager est professeur de lettres modernes, chargé de cours à l'Université Paris 13. Il prépare actuellement une thèse de doctorat sous la direction de Bruno Blanckeman qui porte sur les "Métamorphoses de l'écriture lettrée (Roland Barthes-Pascal Quignard)". Il s'intéresse plus précisément aux chevauchements entre les registres fictionnel et essayistique. Il est le concepteur et le développeur du site roland-barthes.org
Mathieu Messager, « "Par elle me vient une existence dramatique" : Roland Barthes et la grammaire », Revue Roland Barthes, nº 1, juin 2014 [en ligne]. URL : http://www.roland-barthes.org/article_messager.html [Site consulté le DATE].
1Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 735.
2Roland Barthes par Roland Barthes, OCIV, p. 699.
3Marielle Macé, Façons de lire, manières d'être, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2011, p.196.
4Nous préférerons ici – et sans ignorer le débat sémantique qui est en jeu – le terme de « grammaire » à celui de « linguistique ». D'abord, parce que Barthes l'emploie à l'envi (en concurrence avec celui de « syntaxe »), pour justifier sa très grande réactivité devant la matérialité d'une langue qu'il décompose volontiers en éléments. Ensuite, parce qu'il demeure très attentif, même dans l'usage qu'il fait des écrits linguistiques, à des catégories grammaticales précises plus qu'à une saisie globale du langage en fonctionnement (la neutre, l'adjectif, l'aoriste, la négation, le passe simple, etc.). Enfin – et sans vouloir jouer de la facilité étymologique – car le terme de gramma (« signe écrit », « lettre », « inscription ») nous semble recouvrir, par son extension, ces indices textuels (au sens large) dont l'affect barthésien se dit particulièrement sensible.
5Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 637.
6Cf. dans l'ordre : Leçon (OC V, p. 432), Roland Barthes par Roland Barthes (OC IV, p. 623) et notes inédites du séminaire sur « Le discours de l'histoire » retranscrites par Maria O'Sullivan (p. 63).
7Cf. son analyse circonstanciée de cette doxa propre à la Modernité dans La Langue est-elle fasciste ? Langue, pouvoir, enseignement, Paris, Seuil, 2003.
8Roland Barthes, Le Neutre, Notes de cours au Collège de France 1977-1978, Paris, Seuil / Imec, coll. « Traces écrites », 2002, , p. 85.
9Roland Barthes, La Préparation du roman I et II. Notes de cours et de séminaires au Collège de France, 1978-1979 et 1979-1980, Paris, Seuil / Imec, coll. « Traces écrites », 2003, p. 147 et suivantes.
10Gilles Philippe, Sujet, verbe, complément. Le moment grammatical de la littérature française. 1890-1940, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Idées », 2002.
11Roland Barthes par Roland Barthes, OCIV, p. 685.
12« Faut-il tuer la grammaire ? », Combat, 26 septembre 1947. Texte qui sera rebaptisé « Responsabilité de la grammaire » (OC I, p. 96-98)
13Le Degré zéro de l'écriture, OC I, p. 191.
14Ibid., p. 192.
15Il est intéressant de noter que le terme revient aux deux extrémités de la carrière critique de Barthes. En 1947 (« Faut-il tuer la grammaire », OC I, p. 98) et en 1977 (Leçon, OC V, p. 433)
16Cf. successivement, OC III, p .52-59 et p.617-626.
17« Ecrire, verbe intransitif ? », op. cit., p.623.
18Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 637.
19« Linguistique et littérature », OC III, p. 619)
20Paul Ricoeur, La Métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 272.
21Jean-Louis Lebrave, « La genèse de La Chambre claire », Item [En ligne], [URL: http://www.item.ens.fr/index.php?id=76061.]
22op. cit., p. 620.
23Roland Barthes, La Préparation du Roman, op. cit., p. 118.
24Roland Barthes, La Chambre claire, OC V, p. 851.
25Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 699.
26Ibid., p. 667 : « Fiction : mince détachement, mince décollement qui forme tableau complet, colorié, comme une décalcomanie [...] Pourquoi la science ne se donnerait-elle pas le droit d'avoir des visions ? (Bien souvent, par bonheur, elle le prend.) La science ne pourrait-elle pas devenir fictionnelle. [...] Il aurait voulu produire, non une comédie de l'Intellect, mais son romanesque »
27B. Comment, Roland Barthes, vers le neutre, Paris, Christian Bourgois, 1991.
28Roland Barthes, Le Neutre, Notes de cours au Collège de France 1977-1978, Paris, Seuil / Imec, coll. « Traces écrites », 2002, p. 31 : « Je définis le Neutre comme ce qui déjoue le paradigme, ou plutôt j'appelle Neutre tout ce qui déjoue le paradigme. […] Le paradigme, c'est quoi ? C'est l'opposition de deux termes virtuels dont j'actualise l'un, pour parler, pour produire du sens. Exemples : […] en français l/r, car je lis ≠ je ris […] ».
29Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p 632.
30Jean Starobinsky, Les Mots sous les mots. Les Anagrammes de Saussure, Paris, Gallimard, coll. « Le chemin », 1971.
31Notamment par l'évocation des « paragrammes » dans « Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman » (Critique, n° 239, 1967) puis dans Sêmeiôtikê (Paris, Seuil, 1969).
32Cf. successivement : « Flaubert et la phrase » (OC IV, p. 82), « Saussure, le signe, la démocratie » (OC IV, p. 333) et Roland Barthes par Roland Barthes (OC IV, p. 733).
33Cf. successivement : Roland Barthes par Roland Barthes (OC IV, p. 651) ; Sarrasine de Balzac. Séminaires à l'École pratique des hautes études (1967-1968 er 1968-1969), Paris, Seuil, coll. « Traces écrites », 2011., p. 124 ; La Préparation du Roman I et II, op. cit., p. 113.
34Cf. successivement : « Le troisième sens » (OC III, p. 500) et « Rasch » (OC IV, p. 830).
35Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 733.
36Ibid., p. 651.
37Michelet par lui-même, OC I, p. 302.
38« La Mort de l'auteur », OC III, p. 41.
39La Préparation du Roman I et II, op. cit., p. 145.
40« Saussure, le signe, la démocratie », OC IV, p. 333.
41Michelet par lui-même, « avant-propos », OC I, p. 293.
42Le Neutre, op. cit., p. 84-85.
43Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 719.
44« Entretien », OC III, p. 779.
45Le Neutre, op. cit., p. 72.
46La Préparation du Roman I et II, op. cit., p. 147.
47Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1976, p. 259.
48La Préparation du Roman I et II, op. cit., p. 149.
49Marielle Macé, Façons de lire, manières d'être, op. cit.
50La Préparation du Roman I et II, op. cit., p. 149.
51« On échoue toujours à parler de ce qu'on aime », OC V, p. 906.
52Cf. successivement : « Flaubert et la phrase », OC IV, p. 84 et séminaire sur le « Discours de l'histoire » (retranscription inédite de Maria O'Sullivan, p. 63)
53Le Neutre, op. cit., p. 85 : « […] je lutte avec la grammaire ; je jouis par elle : par elle me vient une existence dramatique. »
54Cf. successivement : Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 634-635 et Le Neutre, op. cit., p. 74. Cette dernière citation est à rapprocher de la suivante, déjà partiellement citée : « […] La négation apparaît comme un instrument linguistique de vie, d’affectivité, de communication, de non-schizophrénie » (séminaire sur le « Discours de l'histoire », retranscription inédite de Maria O'Sullivan, p. 63.)
55Le Degré zéro de l'écriture, OC I, p. 190 et suivantes.
56Roland Barthes par Roland Barthes, OC IV, p. 682.
57Cf. successivement : La Préparation du Roman I et II (op.cit., p. 118) et La Chambre claire (OC V, p. 863)
58Cf. successivement : « Écrire, verbe intransitif ? » (OC III, p. 621) et Roland Barthes par Roland Barthes, (OC IV, p. 738).
59Pour un éclairage circonstancié de cette mode de l'anti-adjectif, on consultera avec profit l'ouvrage de Gilles Philippe et Julien Piat (La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, Fayard, 2009.)
60Cf. successivement : Roland Barthes par Roland Barthes (OC IV, p. 623) et Le Neutre (op. cit., p. 88).
61« […] une posture n’est pas seulement une construction auctoriale, ni une pure émanation du texte, ni une simple inférence d’un lecteur. Elle relève d’un processus interactif : elle est co-construite, à la fois dans le texte et hors de lui, par l’écrivain, les divers médiateurs qui la donnent à lire (journalistes, critiques, biographes, etc.) et les publics. » (Jérôme Meizoz, « Ce que l’on fait dire au silence : posture, ethos, image d’auteur », Argumentation et Analyse du Discours, n°3, 2009).
62Magali Nachtergael, « Vers l'autobiographie New Look de Roland Barthes », Image & Narrative, Vol 13, N° 4, 2012, p. 116. En ligne : URL = http://www.imageandnarrative.be/index.php/imagenarrative/article/viewFile/276/232
63Nietzsche, Œuvres complètes, T VIII, vol. 1, Paris, Gallimard, 1967, p. 78.