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Roland

Barthes





n°2 - Barthes à l'étranger > octobre 2015




Yue Zhuo

Barthes « politique » : du théâtre à l’idiorrythmie


Trois nœuds d’interrogation sont à l’origine de mes réflexions sur le Barthes « politique »[1]. Le premier concerne le malaise que Barthes a toujours ressenti vis-à-vis du mot « politique ». À l’affirmation sans détour selon laquelle son rapport à la politique serait « extrêmement discret », Barthes réplique lors d’un entretien accordé au Magazine littéraire en 1975 par une nuance de taille : « discret, mais obsédé[2] ». Il ajoute sur-le-champ une distinction entre « le politique » et « la politique » qu’il ressent comme « vivante » en lui :

Le politique est à mes yeux un ordre fondamental de l’histoire, de la pensée, de tout ce qui se fait, de tout ce qui se parle. C’est la dimension même du réel. La politique, c’est autre chose, c’est le moment où le politique se convertit en discours ressassant, en discours de la répétition. Et autant j’ai un intérêt profond pour le politique, un attachement profond au politique, autant j’ai une sorte d’intolérance au discours politique[3].

On peut considérer que « le politique », tel que Barthes le circonscrit ici, renvoie moins à la façon dont l’histoire est fabriquée qu’à une conscience éveillée de l’individu. Il souligne l’attitude critique qu’un être humain développe par rapport à la société dans laquelle il vit en vue de sa transformation. « La politique », en revanche, se réfère essentiellement aux discours réels des politiciens professionnels. Avec son langage « arrogant » et ininterrompu, elle ne peut se figer que dans une sorte de doxa : idéologie, opinion, ou consensus.

Il convient d’emblée d’ajouter qu’en soi, cette distinction ne suffit guère à apaiser le rapport hanté par la culpabilité que Barthes entretient avec le politique. C’est dans ce contexte qu’il précise qu’il serait salutaire de s’attaquer au problème à l’aide d’« une méthode dialectique » : « il n’est pas question de liquider la politique au profit d’une dépolitisation pure et simple. Ce qu’on cherche, c’est un mode de présence dans le discours du politique qui ne soit pas ressassant[4] ». Barthes revendique ainsi une « déflation[5] », une sorte de respiration rythmique qui soit capable d’interrompre les idéologies et la doxa.

Le deuxième nœud d’interrogation, c’est ce qu’on pourrait appeler la double distanciation par rapport au théâtre et au langage politique que Barthes a manifestée vers la fin des années 1950. On sait que les années 1953-1960 marquent la période la plus militante de la vie de l’écrivain. La publication en 1957 de Mythologies, volume rassemblant la plupart des articles qu’il avait écrits pour Les Lettres nouvelles de 1954 à 1956 (sous la rubrique des « Petites mythologies du mois »), n’a pas tardé à lui donner la réputation d’être un critique engagé[6]. Ces brefs morceaux de critique sociale sur l'actualité, allant de commentaires satiriques sur de nouveaux produits (tels que les détergents ou l’élégante Citroën DS) à des problèmes plus explicitement idéologiques (tels que sa contre-attaque sur le poujadisme), dénoncent vigoureusement et impitoyablement la « mystification » des idéologies bourgeoise et petite-bourgeoise, ainsi que leur infiltration dans l’espace quotidien et l'inconscient collectif des français.

Beaucoup moins connus, mais tout aussi militants, sinon plus provocateurs sont les nombreux articles que Barthes a écrits à la même époque sur le théâtre contemporain. Entre 1953 et 1961, il a publié dans différentes revues (notamment Théâtre Populaire) plus de quatre-vingt critiques et chroniques, qu’il n’a jamais recueillies dans un volume équivalent à Mythologies[7]. Parmi ces écrits, dix-sept sont consacrés à Bertolt Brecht, dont Barthes célèbre le théâtre à titre de « synthèse authentique entre la rigueur du dessein politique (au sens le plus élevé du terme) et la liberté de la dramaturgie[8] ». Autour de 1960, Barthes s’est distancié brusquement du milieu théâtral. Il a cessé d’assister aux spectacles, un revirement d’intérêt qui coïncide étonnamment avec une suspension du lexique marxiste qu’il avait employé jusqu’alors régulièrement.

Le Barthes tardif se détourne davantage de la politique. Dans ses cours au Collège de France (1977-1980), outre l’absence totale de références aux actualités sociales, il exprime un scepticisme toujours plus vigilant envers la notion de communauté. Sa première année de cours, consacrée au thème de « Comment vivre ensemble », se termine sur une forte note de désenchantement. Les formes majeures de la cohabitation telles que la famille ou le couple n’ont plus aucune importance à ses yeux, un seul modèle attire son attention : le fantasme d’idiorrythmie, modus vivendi monastique désuet qu’il a découvert en lisant L’Été grec de Jacques Lacarrière. Emprunté au vocabulaire orthodoxe grecque, l’idiorrythmie se réfère à l’organisation distinctive des moines, qui, tout en restant administrativement attachés à un monastère, vivent seuls et selon leurs propres rythmes, séparés de leurs frères[9]. Le mot et le concept d’idiorrythmie semblent avoir instantanément cristallisé un des fantasmes les plus durables de Barthes, celui d’une collectivité qui n’empiète pas sur la distance individuelle. Malheureusement, Barthes n’est pas allé jusqu’à développer pleinement les implications politiques et sociales qu’une telle forme archaïque et utopique de vivre-ensemble revêtait pour lui.

Comment doit-on comprendre cette « évolution » d’un jeune Barthes, pugnace et engagé, qui se dit « sartrien et marxiste[10] », à un dernier Barthes maître à penser dont le savoir à transmettre est devenu celui du retrait de la demande sociale ? Comment le Barthes « politique » des années 50 se métamorphose-t-il en penseur manifestement « apolitique » à la fin des années 70 ? Serait-il exclu qu’en dépit de ce changement, la manière dont Barthes approche le politique demeure relativement constante ? S’il adopte bien comme dernier modèle de communauté l’idiorrythmie, à titre de fantasme utopique, une forme embryonnaire de ce fantasme serait-elle déjà à l’œuvre pendant ses années « militantes », présente au cœur de sa participation au projet de théâtre populaire ?

Le troisième point nodal, qui à la fois touche aux questionnements posés plus haut et commence à les résoudre, est la comparaison que Barthes établit entre Brecht et lui-même. Dans un fragment de Roland Barthes par Roland Barthes intitulé « Reproche de Brecht à R. B. », R. B. le sujet autobiographique qui discourt à la troisième personne, simule une critique de lui-même faite par Brecht :

R. B. semble toujours vouloir limiter la politique. Ne connaît-il pas ce que Brecht semble avoir écrit tout exprès pour lui ?
« Je veux par exemple vivre avec peu de politique. Cela signifie que je ne veux pas être un sujet politique. Mais non que je veuille être objet de beaucoup de politique. Or il faut être objet ou sujet de politique ; il n’y a pas d’autre choix ; il n’est pas question de n’être ou ni l’un ni l’autre, ou les deux ensemble ; il paraît donc indispensable que je fasse de la politique et il ne m’appartient même pas de déterminer quelle quantité j’en dois faire. Cela étant, il est bien possible que ma vie entière doive être consacrée à la politique, voire même lui être sacrifié. » (Écrits sur la politique et la société, p. 57.)[11]

Écrivant ces lignes, Brecht avait probablement à l’esprit les conflits intérieurs d’un intellectuel humaniste antifasciste des années 1930. Barthes, en revanche, s’identifie à l’aveu du dramaturge et reconnaît dans la trajectoire d’une telle vie un paradoxe inquiétant qu’il aurait pu vivre lui-même : quelqu’un qui voulait à l’origine avoir aussi peu que possible affaire à la politique, finit par y consacrer sa vie. Comparé à la politisation droite et franche de Brecht, le rapport de Barthes à la politique est confus, souvent hanté par la culpabilité. En même temps, il semble souhaiter un soutien, voire une autorisation de ce premier pour pouvoir élargir la notion de politique, pour parvenir à une « méthode dialectique » qui dépasse la simple division entre l’engagement actif et la sujétion passive. Brecht est-il alors un directeur de conscience ou un compagnon pour Barthes ? Pourquoi ce dernier a-t-il besoin d’un tel modèle pour avancer ses propres réflexions sur le politique ?

Je me propose de réfléchir à l’étroite interdépendance de ces trois séries de questionnement. La participation de Barthes aux activités du Théâtre populaire et ses réflexions sur le théâtre et les écrits de Brecht, examinées dans les pages suivantes, montrent une conception du politique profondément ancrée dans la vigilance du langage. L'élan derrière tous les stades de la pensée politique de Barthes s’avère constant. C’est une résistance alerte à la continuité discursive du groupe, aux représentations homogènes de l’histoire et aux mythes d’une collectivité fusionnelle. Ce désir de résistance a eu besoin du temps pour surmonter sa « discrétion » initiale : présent dès le début, pendant la période la plus « militante » de Barthes, il se développe au fil des années, puis a l’heur de rencontrer un mot comme « idiorrythmie » une vingtaine d’années plus tard pour se cristalliser en un imaginaire exemplaire : celui du rythme individuel qui appartient au flux collectif en même temps qu’il l’interrompt. L’œuvre de Brecht ouvre la voie à cette articulation progressive du politique. Incarnant dans un premier temps le théâtre parfait pour Barthes, elle neutralise dans un second temps sa spécificité en tant que mode artistique et invite une définition du politique qui englobe les problèmes plus généraux de la discursivité.



Barthes et le « Théâtre Populaire »


Barthes a très tôt manifesté un intérêt personnel pour le théâtre. Adolescent à Paris au début des années 1930, il assistait déjà régulièrement aux spectacles du Cartel, notamment ceux de Georges Pitoëff et Charles Dullin. Étudiant, il a contribué à fonder le « groupe de théâtre antique de la Sorbonne » et a interprété le rôle de Darios dans la production des Perses d’Eschyle. Son véritable engagement professionnel dans le théâtre a commencé en 1953, lorsque Robert Voisin, directeur d’une petite maison d’éditions, Les Éditions de L’Arche, l’a sollicité pour rejoindre, avec Guy Dumur et Morvan Lebesque, le comité éditorial d’une revue qu’il lançait sous le nom de Théâtre Populaire. Après la guerre, l’idée d’un « théâtre accessible à tous » était dans l’air, soutenue par l’État comme un des moteurs principaux de la reconstruction culturelle en France. En 1951, Jean Vilar, qui avait crée le festival d’Avignon quatre ans auparavant, a été nommé directeur du Théâtre National Populaire (TNP), au Palais de Chaillot. Voisin étant proche de Vilar, son nouveau journal allait naturellement devenir un forum où les programmes du TNP devaient recevoir une attention particulière.

Les premières évocations de Barthes soulignent l’idée de « Théâtre Populaire » avec enthousiasme tout en subvertissant son acception ordinaire. Dans l’éditorial qu’il rédige pour le premier numéro de la revue, il souligne d’emblée la nature tautologique de l’expression, car le théâtre est selon lui, dans sa grandeur historique, toujours déjà « populaire ». Parler d’un « théâtre populaire », c’est créer involontairement une catégorie minoritaire et reconnaître davantage le rôle dominant du théâtre bourgeois. La première mission de la revue serait ainsi d’« intervertir les facteurs » afin de « rendre au Théâtre Populaire la place prépondérante de la vie publique[12] ». Barthes, dont les réflexions sur l’art dramatique étaient jusqu’ici centrées sur la tragédie grecque, considère qu’il est urgent de restituer la « dimension originelle » du théâtre dont la pratique actuelle s’est dégradée jusqu’au statut accommodant de divertissement. En effet, « Le Prince de Hombourg au TNP », un de ses premiers articles sur le théâtre contemporain, célèbre la production par Vilar de la pièce de Kleist pour son renouveau de la grandeur du festival et du rituel. Vilar avait auparavant monté le spectacle au Palais des Papes d’Avignon, où toute une technique du plein air auprès du grand public (à savoir l’absence de décors, la nudité des murailles, la sobriété des costumes, la circulation expressive des flambeaux et des drapeaux) fait écho à l’atmosphère du théâtre athénien. La production de Vilar accomplit ainsi pour Barthes une « ouverture de la scène » qui contraste nettement avec la « clôture feutrée » de la scène dans les théâtres bourgeois[13].

Un vrai théâtre populaire, Barthes le répète à plusieurs reprises, est un théâtre « qui fait confiance à l’homme[14] », c’est dire qu’il doit donner au public le pouvoir d’imaginer les événements montrés sur scène. Son hostilité personnelle envers le théâtre bourgeois provient du fait que celui-ci semble avoir perdu tout contact avec la dimension essentielle du « grand Commentaire[15] » endossée par le théâtre grec ou élisabéthain. Le théâtre bourgeois moderne installe le spectateur dans une position passive, l’« empoissant[16] » de décors ready-made, de costumes touffus, de psychologie préfabriquée et de drames charnels, renonçant ainsi à toute dimension politique et civique de la cérémonie dramatique. En revanche, le théâtre grec, du moins celui d’Eschyle et de Sophocle, est avant tout un « théâtre social » :

À travers les mythes divins, ce qui était chaque fois en cause, c’était le devenir de la Cité, son pouvoir de faire elle-même son destin par de grandes initiatives politiques : Les Suppliantes, ce n’est rien d’autre que le débat de la guerre et de la paix ; L’Orestie, celui d’une pénalité barbare… ; Antigone le conflit de la loi parentale et de la loi civile : Œdipe enfin, l’idée que toute souillure n’a de réalité que sociale[17].

Dans chacune de ces pièces, un groupe de citoyens est représenté sur scène en train de débattre, et le résultat de leur délibération aura un impact direct sur le destin de la communauté. Un tel théâtre est un véritable théâtre du peuple au sens où il est « politique » par sa forme, portant en son centre une question proprement sociale, autour de laquelle les citoyens se seraient déjà spontanément agrégés.

Parallèlement à sa défense ferme du programme du TNP, Barthes exprime à l’occasion des doutes sur la faisabilité d’un tel théâtre à l’époque moderne. Alors que dans la revue Théâtre de France, il rejette toute réaction de scepticisme et rappelle que la question du théâtre populaire « est une question franchement nationale », qui « devrait intéresser tous les Français »[18], dans Théâtre Populaire, il est moins catégorique, et sa première hésitation concerne la définition du peuple :

On parle de plus en plus au nom du peuple, aujourd’hui. Ce peuple, « qui produit tout et qui, pour être formidable, n’aurait qu’à rester immobile » (Mirabeau), a sur lui une nuée de bons avocats qui lui prêtent généreusement paroles, mobiles, pouvoirs, et retirent ainsi de leur client une caution facile de moralité. Régimes, partis, presse, littératures, esthétiques, qui ne se dit populaire ? Le vent a tourné depuis un siècle et la bonne conscience est visiblement de ce côté-là[19].

Qui est le peuple ? Pour Barthes, la notion renvoie à un élément à la fois durable et fluctuant à travers l’histoire plutôt qu’à un groupe social identifiable. « Le peuple athénien », constate-t-il avec humour, « n’a probablement aucun rapport avec le peuple du département de la Seine[20] ». La catégorie du peuple étant soumise aux variations historiques, il est impossible de donner une définition inaltérable d’un théâtre proprement « populaire » : « il n’est pas dans notre pouvoir de fixer d’avance les caractères d’un théâtre communautaire à l’usage d’une communauté qui n’existe pas encore[21] ». Et, si le TNP a bel et bien permis à une partie de la population culturellement défavorisée d’avoir accès au théâtre, cette coupure dans la division sociale ne survivra pas au cadre imaginaire de la représentation : la division sociale continue à exister en dehors du théâtre, indemne de lui.

Dans la conception barthésienne de ce que devrait constituer le public d’un théâtre populaire, il y a une ouverture qui anticipe ce que Blanchot appellera plus tard la « communauté élective » : « On l’appelle élective en ce sens qu’elle n’existerait que par une décision qui rassemble ses membres autour d’un choix sans lequel elle n’aurait pu avoir lieu[22] ». En d’autres termes, une communauté qui repose sur deux prémisses : la simple présence d’être-ensemble ; un sentiment de libre choix et de partage.



L’éblouissement brechtien


Comparés aux « petites mythologies », les nombreux éditoriaux et articles que Barthes a publiés dans Théâtre Populaire sont, à bien des égards, plus intransigeants dans leur dénonciation de la culture bourgeoise. Outre un ton prosélyte et rassembleur, « politique » devient un mot d’ordre qu’il emploie sans réserve. Et pourtant, ce positionnement « engagé » décline rapidement, succombant à une désaffection simultanée pour le théâtre et la politique. Barthes, qui a cessé d’aller au théâtre autour de 1960, présentera plus tard cet abandon comme un « revirement qui l’intrigue lui-même[23] ». À la même époque, il s’est éloigné de la doxa marxiste. En Septembre 1960, il a refusé d’ajouter son nom à la liste des signataires du Manifeste des 121 rédigé par Dionys Mascolo et Maurice Blanchot. Sept ans plus tard, en mai 1968, il ne s’est pas joint aux manifestations des étudiants, ce qui lui vaut une sorte de « dazibao[24] » railleur affiché dans le couloir de la Sorbonne (sur le mur de la IVe section des Hautes Études) : « Barthes dit : “Les structures ne descendent pas dans la rue.” Nous disons : “Barthes non plus[25]”».

Quelle est la logique derrière ce double renoncement ? Pour le théâtre, Barthes explique que c’est un « éblouissement brechtien » qui l’en a « paradoxalement éloigné[26] ». La représentation de Mutter Courage en 1954, réalisée par le Berliner Ensemble dans le cadre du premier Festival international d’art dramatique de Paris, lui est advenue comme une « illumination subite » :

Cette illumination a été un incendie : il n’est plus rien resté devant mes yeux du théâtre français ; entre le Berliner et les autres théâtres, je n’ai pas eu conscience d’une différence de degré, mais de nature et presque d’histoire. D’où le caractère, pour moi, radical de l’expérience. Brecht m’a fait passer le goût de tout théâtre imparfait, et c’est, je crois, depuis ce moment-là que je ne vais plus au théâtre[27].

L’adieu au théâtre n’a pourtant pas eu lieu tout de suite. De 1954 à 1960, Barthes est resté impliqué dans le cercle du Théâtre Populaire. Il a continué à assister aux spectacles et à écrire des critiques parfois enthousiastes. Cette activité de critique lui a donné également l’occasion de promouvoir la « révolution » brechtienne, en soulignant à la faveur d’une série d’articles les raisons pour lesquelles ce théâtre éblouissant a pu rendre, de manière irréversible, tous les autres imparfaits. Quant à l’atténuation de l’emploi du langage marxiste, Barthes ne s’est jamais soucié d’en fournir une explication. Mais comme nous le verrons plus loin, sa réflexion sur l’œuvre de Brecht jouera un rôle important dans la transformation de son approche du « politique ».

À la fois « matérialiste et sémantique », « engagé » et « distingué », « populaire et raffiné », Mutter Courage du Berliner Ensemble réalise un « théâtre parfait » pour Barthes dans la mesure où il harmonise des éléments qui jusque-là avaient été jugés incompatibles[28]. Avant tout, c’est un théâtre médité, déployé à partir d’une théorie explicite. L’« éblouissement » lui-même fut passager, mais la compréhension de sa nature occupera Barthes pendant des années. Non seulement l’« incendie » brechtien a été, comme le remarque Bernard Dort, « à combustion lente », mais il a aussi « progressivement changé de foyer » : du théâtre de Brecht, il est passé au « système[29] ». De la pratique de la scène, la fascination de Barthes s’est réorientée vers, d’une part, les réflexions du dramaturge sur le théâtre épique, et d’autre part, son esthétique visant à réunir plaisir et vigilance intellectuelle – Brecht devient un « marxiste qui [a] réfléchi sur les effets du signe : chose rare[30] ». Avec le temps, Barthes en vient à admirer Brecht comme un « grand écrivain » pour ses idées sur l’histoire, l’art et le politique. Le théâtre de Brecht, en d’autres termes, est paradoxalement mis entre parenthèses, comme le souligne Dort de manière suggestive : « Ce n’est pas Brecht ou le Berliner Ensemble qui a conduit Barthes à “ne plus aller au théâtre” ; c’est Barthes qui a, peu à peu, neutralisé le théâtre dans l’œuvre de Brecht. Le refus vient de lui[31] ».

« Théâtre capital », le premier texte que Barthes écrit sur Brecht peu de temps après avoir vu Mutter Courage, montre l’impact d’une nouvelle expérience en quête d’articulation. La représentation est « civiquement justifié[e] » : « totalement moral[e] et totalement dramatique[32] ». Bien qu’encore peu instruit de théorie brechtienne de la distanciation (Verfremdungseffekt), Barthes discerne néanmoins le dédoublement de la perspective comme la clé de voûte de la « révolution » : alors que la fatalité est montrée sur la scène, la liberté est sentie dans la salle. Mère Courage, cantinière de la guerre de Trente Ans qui suit les pérégrinations de l’armée, croit que la guerre, condition nécessaire pour son commerce et pour sa survie, est inévitable. Le spectateur, en revanche, peut comprendre ses souffrances sans pour autant s’y identifier. Son recul vis-à-vis de l’histoire montrée lui permet de distinguer la guerre d’une catastrophe naturelle. Ce qui impressionne particulièrement Barthes est la façon dont Brecht parvient à produire une attitude critique sans aucune explication déclarative.

Un an plus tard, dans « Mère Courage aveugle », Barthes revient au spectacle pour examiner plus en profondeur la « double vision » : « celle du mal social, celle de ses remèdes[33] ». Courage est dans la guerre ; elle ne voit pas sa cause, seulement ses conséquences : la destruction de vies, les dégâts d'objets autour d'elle et l’érosion affective que la longue guerre engendre. Le spectateur, en partie parce qu’il sait que sa guerre à elle est finie, que l’époque n’est plus la même, voit ce que Courage ne voit pas, et comprend que le remède à ses souffrances ne se trouve pas dans la procuration et la vente d’objets matériels, mais bien au contraire dans l’abolition même du caractère mercantile de la guerre. Cette prise de conscience est accomplie grâce à un « dédoublement décisif » du spectateur qui à la fois participe à l’action dramatique et l’évalue, s’identifie à l’aveuglement de Mère Courage et voit cet aveuglement à distance. Brecht ravive ainsi la dimension civique que Barthes considère comme consubstantielle au vrai théâtre : « la scène raconte, la salle juge, la scène est épique, la salle est tragique[34] ».

Pour montrer le rapport entre le spectateur et les événements qui se déroulent sur scène, une des métaphores préférées de Brecht est celle du fleuve :

Étant donné qu’il n’est pas question d’inviter le public à se jeter dans la fable comme dans un fleuve pour s’y laisser entraîner de-ci, de-là à la dérive, il faut que les événements soient rattachés les uns aux autres par des nœuds bien visibles. Les événements ne doivent pas s’enchaîner insensiblement, il faut qu’un jugement puisse intervenir entre eux[35].

Brecht, qui s’attend à ce que le spectateur « se laisse porter par les courants les plus violents qui agissent la société », souhaite en même temps que l’expérience théâtrale puisse le transformer notamment en un « hydraulicien » actif, qui fait face à ces courants et les considère comme modifiables :

Cette attitude est une attitude critique. Envers un fleuve, elle consiste à régulariser le cours de ce fleuve ; envers un arbre fruitier, à greffer ce fruitier ; envers la locomotion, à construire des véhicules terrestres et des aéronefs ; envers la société, elle consiste à révolutionner la société. Nos représentations de la vie en société, nous les faisons pour les hydrauliciens, les arboriculteurs, les constructeurs de véhicules et les révolutionnaires, que nous invitons dans nos théâtres en les priant de ne pas oublier chez nous les joyeux intérêts qui sont les leurs, de sorte que nous livrions le monde à leurs cerveaux et à leurs cœurs pour qu’ils le changent à leur guise[36].

Cette réponse active au flux de l’histoire, rendue possible par une série de dispositifs techniques, constitue en fait le pilier du Verfremdungseffekt brechtien. Une des méthodes les plus pratiquées concerne la « relativisation » du temps historique : l’époque représentée est différente de l’époque actuelle. En imaginant comment l’histoire aurait pu tourner différemment si les conditions sociales avaient été autres, le spectateur comprend simultanément la nature amendable de son temps. Un autre dispositif est l’utilisation des interruptions. L’action est suspendue de manière intermittente, incitant le spectateur à prendre position vis-à-vis de sa propre conduite. Comme des barrages sur un fleuve, les interruptions empêchent le spectateur d’être emporté totalement par les courants de l’histoire, en lui faisant remarquer les nœuds qui relient l’intrigue.

Pour Barthes, une des dimensions essentielles du « système » brechtien réside dans la manière dont il aborde la représentation historique. « On sait que Brecht était Marxiste », écrit Barthes en 1957, « … mais il est certain que le théâtre de Brecht, qui doit tant au marxisme […], n’accomplit pas expressément l’idée marxienne du théâtre historique[37]». Barthes se réfère ici à la réponse que Marx et Engels ont donnée, en 1859, à l’écrivain socialiste Ferdinand Lasalle, qui leur avait auparavant soumis sa pièce, Franz von Sickingen, pour avis et approbation. Selon Marx et Engels, « le théâtre doit rendre un compte exact, complet de la réalité historique dans son fondement même[38] ». En d’autres termes, il doit dépeindre, de manière intelligible et réaliste, les agents sociaux et les conflits de classe qui sont en jeu dans le contexte spécifique du drame. Le théâtre de Brecht est ambigu au regard de ce critère : il est vrai que ses personnages appartiennent tous à une classe sociale, mais la lutte des classes ne constitue pas le sujet central du drame. Toutes les pièces de Brecht sont situées dans l’histoire, et pourtant aucune n’est vraiment « historique ». Le contexte historique de Mutter Courage, par exemple, est la guerre de Trente Ans, mais cette guerre n’est pas l’enjeu de la pièce. Le théâtre de Brecht suspend par conséquent le point de vue de l’historien ; c’est un théâtre qui « provoque l’Histoire, mais qui ne la divulgue pas ; qui pose avec acuité le problème de l’Histoire, mais qui ne le résout pas[39] ».

L’Histoire, bien qu’omniprésente chez Brecht, se situe rarement au premier plan. Elle existe en tant que « catégorie générale » : « elle est partout, mais d’une façon diffuse, non analytique ; elle est étendue, collée aux malheurs humains, consubstantielle à eux, comme le verso au recto d’une feuille de papier ; mais ce que Brecht donne à voir et à juger, c’est le recto, une surface sensible de souffrances, d’injustices, d’aliénations, d’impasses[40]  ». Le théâtre de Brecht est ainsi « essentiellement un théâtre de l’individu[41] », car, au centre de la scène, c’est toujours la tragédie d’un individu, enchaîné par l’Histoire dont la force lui reste obscure et incontrôlable. Seul le spectateur peut profiter d’un sentiment de liberté ; seul lui peut saisir les deux niveaux du spectacle : celui du déroulement de l’intrigue par lequel l’individu souffre et celui la scène où la logique de la souffrance se décante en filigrane.

Dans son livre sur Michelet paru en 1954, Barthes a déjà été sensible à une opposition analogue, à savoir le double procédé auquel l’historien romantique recourt dans sa présentation de l’Histoire : d’un côté, le récit – fondé sur la continuité temporelle ; et de l’autre, le tableau – un étalement quasi-géographique. Barthes dépeint Michelet comme un « historien-voyageur », stressé par le flux des événements qui va toujours plus vite que lui : il « souffre, peine, espère, il se dirige vers le repos d’une station où tout sera enfin saisi dans l’immobilité[42]... ». Cette station, ce « relais nécessaire », est le Tableau : « Michelet a beaucoup aimé cette position de supervisibilité qui permet d’ordonner l’Histoire comme un spectacle et non comme un mouvement[43] ». On pourrait dire que c’est cette même alternance entre le flux de l’histoire et les scènes individuelles que Barthes discerne dans le théâtre de Brecht. En 1960, dans sa préface à l’album des photos de scène que Roger Pic a prises pour Mutter Courage, Barthes souligne de nouveau l’importance de l’immobilité. La photographie a le pouvoir d’isoler les instants individuels, et ce faisant, elle montre les détails qui sont restés inaperçus pendant le mouvement de la représentation.

Des années plus tard, en 1975, rappelant sa première rencontre avec le Berliner Ensemble, Barthes avoue qu’il a été autant ébloui par « les vingt lignes de Brecht reproduites dans le programme » que par la représentation elle-même[44]. Dès le début, Brecht a compté plus qu’à titre de simple dramaturge pour lui, et cette dimension d’« au-delà du théâtre » n’a fait que s’accentuer au cours des années. « Oui, Brecht », continue Barthes, « j’ai beaucoup aimé son œuvre théâtrale, peut-être plus encore son œuvre intellectuelle », renvoyant à Écrits sur la politique et la société qui venait d’être traduit[45]. À cette époque, les réflexions de Barthes se concentrent davantage sur la question de la socialité du langage et peuvent être résumées, comme on le sait, par la formule scandaleuse qu’il énonce lors de sa leçon inaugurale au Collège de France : la langue est « fasciste » parce qu’elle « oblige à dire[46] ». Moins connu est le fait que, dans un des fragments politiques de Brecht auxquels Barthes se réfère, paru sous la rubrique d’« Essai sur le fascisme », la résistance au fascisme prend la forme du démantèlement littéral d’un discours nazi. Brecht y démonte phrase par phrase le message de Noël que Rudolf Hess a livré au peuple allemand en 1934. Le dramaturge dispose verticalement, dans une colonne à gauche, les bouts de chaque phrase. À droite, dans une seconde colonne, il répète ces mêmes bouts découpés tout en ajoutant les connotations cachées, détournant ainsi radicalement le sens prescrit de chaque phrase[47]. Il n’est pas surprenant que Barthes accorde une attention particulière à cet exercice de « lecture en correction ». Afin de conserver son autorité trompeuse, explique-t-il, le discours de Hess doit rester « enchaîné », sans interruption ; or, le premier geste de Brecht consiste à briser sa continuité : « … le discours enchaîné est indestructible, triomphant. La première attaque est donc de le discontinuer : mettre en morceaux, littéralement[48]… ». Pour Barthes, la critique du continuum est une constante de l’œuvre de Brecht :

L’œuvre de Brecht vise à élaborer une pratique de la secousse (non de la subversion : la secousse est beaucoup plus « réaliste » que la subversion) ; l’art critique est celui qui ouvre une crise : qui déchire, qui craquelle le nappé, fissure la croûte des langages, délie et dilue l’empoissement de la logosphère ; c’est un art épique : qui discontinue les tissus de paroles, éloigne la représentation sans l’annuler[49].

La rectification que Brecht impose au discours de Hess est en parfait accord avec sa pratique dans le théâtre : c’est une sorte de « sismologie », celle qui est suffisamment subtile pour « secouer » le nappé de l’élocution sans la déchirer[50]. Barthes compare cette secousse à une épingle japonaise dont la tête est garnie d’un minuscule grelot. Ce grelot permet à la couturière de ne pas oublier l’épingle dans le tissu une fois que le vêtement est terminé. Brecht, cependant, recoud la logosphère tout en laissant délibérément les épingles à grelots à l’intérieur, de sorte que quand nous écoutons un langage, nous n’oublions jamais comment il a été fait. La logosphère, selon Brecht, n’est jamais lisse, et ces petites épingles, comme les techniques de l’interruption dans le théâtre épique, permettent de voir ce qui « coule naturellement » et d’y résister[51].



Idiorrythmie


Alors que les dispositifs « discrets » inventés par Brecht pour produire de la discontinuité – ce qui n’est pas sans rappeler ce que Blanchot nomme par ailleurs « la parole de fragment », ou « la parole d’entre-deux[52] » – apportent une nouvelle dimension du « politique », la découverte de l’idiorrythmie, comme un second éblouissement, cristallise enfin le fantasme viable de Barthes, celui d’une communauté qui ne sacrifierait pas le rythme individuel : c’est ce qu’il désignera sous peu par le nom de « l’utopie d’un socialisme des distances[53] ». D’inspiration nietzschéenne et fouriériste, l’imaginaire « politique » de Barthes s’éloigne davantage de la vision du populaire et du grand rassemblement, restant consciencieusement dans les limites d’un modèle utopique. En même temps, il embrasse quelque chose comme une micro-résistance deleuzienne en trouvant du plaisir dans la courte existence des petits groupes marginaux. Profondément ancrée dans son exploration du fonctionnement du langage et de la discursivité, l’approche barthésienne de l’idiorrythmie demeure essentiellement fantasmatique et philologique.

En 1977, Barthes débute sa première année d’enseignement au Collège de France par un ton remarquablement personnel. Lassé de la plupart des théories auxquelles il a été précédemment associé (le marxisme, la sémiologie, la psychanalyse), il souhaite raviver ce que Nietzsche a valorisé comme la paideia des Grecs – « un dressage qui met en jeu l’inconscient du penseur[54] ». Cet « inconscient » le conduit à poursuivre une forme particulière du vivre-ensemble appelée « idiorrythmie » :

Dans la leçon inaugurale de cette chaire, on avait postulé la possibilité de lier la recherche à l’imaginaire du chercheur. On a souhaité, cette année explorer un imaginaire particulier : non pas celui de toutes les formes de « vivre ensemble » (sociétés, phalanstères, familles, couples), mais principalement le « vivre ensemble » de groupes très restreints, dans lesquels la cohabitation n’exclut pas la liberté individuelle ; s’inspirant de certains modèles religieux, notamment athonites, on a appelé cet imaginaire fantasme d’idiorrythmie[55].

Dès la conception du cours, Barthes accentue la dimension « éthique » plutôt que « politique » de ce fantasme : il s’agira d’un petit nombre de participants (une dizaine) dont les rapports seraient réglés par une nécessaire « distance critique[56] ». Parallèlement à son cours magistral, Barthes tient un séminaire hebdomadaire intitulé « Qu’est-ce que “tenir un discours” ? Recherche sur la parole investie », qui a pour but d’examiner la « fonction d’intimidation du langage ». Dans son esprit, les deux sujets sont intimement liés, puisque le besoin d’un espace de respiration individuel a un rapport direct avec le désir de résister à la coercition du discours.

Les contraintes de cet article ne me permettent pas de retracer l’histoire complexe du régime monastique de l’idiorrythmie. Je souhaiterais plutôt aborder le désir qui a incité Barthes à se livrer à ce fantasme, au point de se lancer dans une étude inattendue de la communauté religieuse elle-même :

[C’est] un fantasme de vie, de régime, de genre de vie, diaita, diète. Ni duel, ni pluriel (collectif). Quelque chose comme une solitude interrompue d’une façon réglée : le paradoxe, la contradiction, l’aporie d’une mise en commun des distances – l’utopie d’un socialisme des distances (Nietzsche, pour les époques fortes, non grégaires, comme la Renaissance, d’un « pathos des distances ». (Tout ceci encore approximatif)[57].

On pourrait considérer l’idiorrythmie comme un pas au-delà de cette « aporie d’une mise en commun des distances » qui remonte à la période « théâtrale» de Barthes. Le fantasme est-il déjà présent pendant ces années du « Théâtre Populaire » ? Certes, mais à l’époque il n’était pas en mesure de concilier la communauté et la distance, deux notions qu’il percevait encore comme des contraires. Le théâtre de Brecht a miné cette opposition binaire, en mettant en place un modèle théâtral « médian » qui allie élan populaire et distance critique. Ici, contrairement à un « pathos des distances » nietzschéen qui implique une distinction aristocratique et une hiérarchie, Barthes fantasme sur un déploiement distancié, horizontal, pluriel et égalitaire des forces individuelles, brisant à sa façon l’opposition habituelle entre masse/fusion et force/distinction.

La découverte de l’existence historique du mode monastique oriental se fit par hasard, alors que Barthes lisait L’Été grec de Lacarrière. Le mot d’idiorrythmie, étymologiquement complexe et sémantiquement chargé, l’a d’emblée « fait travailler[58] ». Le mont Athos accueille deux types de communautés monastiques. Le premier est ce qu’on appelle les cénobites : ce sont des moines qui effectuent tous les aspects de leur vie (liturgies, repas et travaux) en communauté. Le nom même du cénobitisme (du grec koinos) renvoie à un vive-ensemble ininterrompu. L’autre, par contraste, est ce qu’on nomme les idiorrythmiques. Dans son modèle original, il se compose d’anachorètes qui vivent dans une cabane ou cellule (kéllion), seul ou avec un ou deux frères. Ces moines mènent une vie de prières et de méditation, ne se réunissent que le samedi pour assister à une liturgie commune (la synaxe) et un échange des biens[59].

Si la rencontre avec le terme « idiorrythmie » exerce un effet si puissant sur Barthes, c’est que, depuis longtemps, il s’intéresse à la complexité étymologique du mot rythme, et en particulier, à la distinction faite par Émile Benveniste entre rythme et rhuthmos. Dans son article, « La notion de rythme dans son expression linguistique », Benveniste déconstruit la liaison sémantique longtemps acquise entre rhuthmos (ῥυθμός) (qui, en grec, désigne en effet rythme) et rhein (ῤεῖν) (qui veut dire « couler »). Traditionnellement, les dictionnaires considèrent ῥυθμός comme un nom dérivé de ῤεῖν, comme si le mot se référait, dans son sens original, « aux mouvements réguliers des flots[60] ». Cette association, constate Benveniste, est dénuée de fondement. Pour les philosophes ioniens ainsi que les fondateurs de l’atomisme (Démocrite et Leucippé), le sens constant de rhuthmos est « forme distinctive ; figure proportionnée ; disposition[61] ». C’est Platon qui finit par supprimer les dimensions spatiale et mobile de rhuthmos, en figeant le sens du mot « disposition » en « séquence ordonnée de mouvements lents et rapides[62] ». Une fois les idées de « mesure » et d’« arrangement harmonieux » rejetées, Benveniste restaure le sens originaire de rhuthmos : c’est « la forme dans l’instant qu’elle est assumée par ce qui est mouvant, mobile, fluide[63]… ». En d’autres termes, rhuthmos n’a pas de consistance organique en soi ; il fait partie du flux et est à la fois façonné par lui ; il signifie littéralement « manière particulière de fluer[64] ».

À l’oreille de Barthes, le mot « idiorrythmie » sonne presque comme un pléonasme, puisque la dimension d’« idios » est déjà inscrite dans la notion de rhuthmos, qui signifie pour lui : « interstices, fugitivité du code, de la manière dont le sujet s’insère sans le code social (ou naturel)[65] ». De même que rhuthmos accompagne les flots tout en leur résistant, l’idiorrythmie fournit un modèle social « idyllique », à mi-chemin entre l'isolement total (érémitisme) et la collectivité obligée (cénobitisme). Le fait qu’il eut une existence réelle dans l’histoire concrétise miraculeusement le fantasme du « socialisme des distances » que Barthes n’a jusqu’ici connu que brièvement à travers le théâtre de Brecht. Il se dirige cette fois-ci vers une microsociété, utopique en tant que telle, qui se maintiendrait sur un « plaisir pur de la sociabilité », indépendante de toute imposition du pouvoir[66].

Dans la dernière session de Comment vivre ensemble, Barthes précise que son utopie du vive-ensemble idiorrythmique n’est pas une utopie sociale. À la différence des autres penseurs utopiques, de Platon à Fourier, il ne cherche pas à proposer une « façon idéale d’organiser le pouvoir[67] ». Il est attiré par ce qu’il appelle une utopie « domestique », visant à assurer un bon rapport entre le sujet et l’affect, entre le sujet et le système de symboles qu’il utilise. Cette utopie « domestique » serait construite autour des micro-espaces qui résisteraient au pouvoir du discours social, tels que les séminaires qu’il tenait à l’École Pratique des Hautes Études.

Pour conclure, revenons au passage de Brecht dont Barthes imagine qu’il a été écrit exprès pour lui :

Je veux par exemple vivre avec peu de politique. Cela signifie que je ne veux pas être un sujet politique. Mais non que je veuille être objet de beaucoup de politique. Or il faut être objet ou sujet de politique ; il n’y a pas d’autre choix ; il n’est pas question de n’être ou ni l’un ni l’autre, ou les deux ensemble ; il paraît donc indispensable que je fasse de la politique et il ne m’appartient même pas de déterminer quelle quantité j’en dois faire. Cela étant, il est bien possible que ma vie entière doive être consacrée à la politique, voire même lui être sacrifiée. 

Le choix se situe ici entre devenir « sujet » ou « objet » de la politique. Ne pouvant devenir tous deux ni aucun des deux, Brecht finit par accepter la position du « sujet ». Quant à Barthes, son rapport compliqué avec le politique peut être mieux compris à la lumière d’un désir d’éluder cette dichotomie du sujet et de l’objet. Ce qu’il appelait, faute de mieux, la « méthode dialectique » à l’époque était, en fait, un désir de dépasser la dialectique. Cette volonté d’entretenir une relation à la fois intérieure et extérieure au discours et à la collectivité eut besoin de temps pour trouver un nom qui l’exprime. Elle se cristallisa autour de la figure d’idiorrythmie : rythme individuel qui fait partie du flux collectif tout en l’interrompant. Dans sa deuxième année de cours au Collège de France, Barthes donne à son fantasme un nom plus conceptuel : le « Neutre » – nom qui ne désigne pas une position stable mitoyenne en vue d’une solution dialectique, mais un processus continu qui déjoue toute opposition binaire.

Plus loin dans le fragment du « reproche » simulé de Brecht, Barthes se décrit à la troisième personne : « Son lieu (son milieu), c’est le langage : c’est là qu’il prend ou rejette, c’est là que son corps peut ou ne peut pas[68] ». Être sujet dans cet espace linguistique signifie avant tout qu’on préserve son idiorrythmie, qu’on écoute les flots du langage sans être trop près d’eux, sans s’en être fait objet. Dans les années 50, à l’époque du « Théâtre Populaire », Barthes a rêvé d’un vrai espace collectif où, comme dans le théâtre antique en plein air, les sujets partageraient un sentiment de célébration communautaire et de responsabilité civique. À la fin des années 1970, cet espace est devenu moins tangible, plus dispersé et plus ancré dans un fantasme libre et décousu. Barthes a-t-il jamais prévu que son intérêt pour le théâtre disparaitrait un jour, en se transformant en « abstraction » ? On pourrait trouver un début de réponse dans le fait qu’au moment même de l’éblouissement brechtien, il consacre un essai aux projets théâtraux inachevés de Baudelaire. Ce qui rend le théâtre baudelairien curieux, postule Barthes au début de son essai, est son « état velléitaire[69] ». Toutes les considérations pour ce qu’on appelle conventionnellement la « théâtralité », à savoir des perceptions engendrées par les artéfacts sensuels (du mouvement du corps au son et à la lumière), sont totalement absentes de ces brouillons de scénarios qui semblent ne se soucier que de la narration de l’intrigue. Paradoxalement, la théâtralité manquante imprègne le reste de son œuvre – ses poèmes, ses essais, ses Salons –, comme si Baudelaire souhaitait conduire la théâtralité dans ses écrits non-théâtraux et la narration dans son théâtre, comme si, pour rêver du grand théâtre, il lui fallait enlever tous les artéfacts scéniques, rester à l’abri de « sa littérature solitaire[70] ». En ce sens, l’évolution de l’attraction et de la distance de Barthes vis-à-vis du théâtre est déjà inscrite dans son début. L’idiorrythmie a toujours été la pulsation de ce qu’il appelle le théâtre, avec ou sans sa réalisation. C’est peut-être pour cette raison qu’il y fait allusion dans son autoportrait : « Au carrefour de toute l’œuvre, peut-être le Théâtre[71]… ».

Plan



Résumé

Texte du résumé.


Notes

[1] Ce texte est la version remaniée d’un article paru en langue anglaise dans French Forum, vol. 36, no˚ 1, Winter 2011, p. 55-74.


[2] Roland Barthes, « Vingt mots-clés pour Roland Barthes » (1975), in Roland Barthes, Œuvres complètes (désormais abrégé OC), IV, éd. Éric Marty, Paris, Seuil, 2002, p. 862. Sauf mention contraire de ma part, toutes les références aux écrits de Barthes renvoient à cette édition, suivies de la tomaison et de la pagination.


[3] Ibid.


[4] Ibid.


[5] Ibid.

v

[6] Selon Louis-Jean Calvet, « critique et chroniqueur engagé », telle est l’image que Barthes s’est donnée en 1957, à la parution de Mythologies. Voir Louis-Jean Calvet, Roland Barthes, Flammarion, 1990, p. 160.


[7] C’est Jean-Loup Rivière qui a tardivement recueilli ces écrits en un seul volume sous le titre d’Écrits sur le théâtre (Seuil, 2002). À la fin de sa vie, envisageant une éventuelle publication, Barthes a commencé à collaborer avec Rivière sur le choix des textes. Philippe Roger fut un des premiers à souligner la passion politique « mal connue » de Barthes pour le théâtre. Voir son article, « Barthes dans les années Marx », Communications, 63, 1996, p. 39-65. Parmi les études importantes sur Barthes et ses années d’« engagement » théâtral, citons Andy Stafford, «Constructing a Radical Popular Theatre: Roland Barthes, Brecht and Théâtre Populaire », French Cultural Studies, 7 (1996), pp. 33-48 ; Timothy Scheie, « Roland Barthes and the Myth of a National Theater », French Forum, 30:2 (2005) : pp. 79-96 ; Christophe Bident, Le geste théâtral de Roland Barthes, Paris, Hermann, 2012, et l’étude récente de Lise Forment, « Roland Barthes et l’actualité du théâtre "classique" : la transhistoricité de la littérature mise en spectacle », Revue Roland Barthes, nº 1, juin 2014 [en ligne]. URL : http://www.roland-barthes.org/article_forment.html.


[8] Barthes, « Brecht » (1955), OC, I, p. 593.


[9] Barthes, Comment vivre ensemble : simulations romanesques de quelques espaces quotidiens (1976-1977), Seuil/Imec, 2002 (désormais abrégé Comment vivre ensemble), p. 36-40.


[10] Dans un entretien accordé à Tel Quel en automne 1971, Barthes décrit sa position à l’Armistice comme « sartrien et marxiste » : « J’essaye d’“engager” la forme littéraire […] et de marxiser l’engagement sartrien… ». Barthes, « Réponses » (1971), OC, III, p. 1026.


[11] Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), OC, IV, p. 632. Pour la référence à Brecht, voir la note 44.


[12] Barthes, « Éditorial », Théâtre Populaire, n˚ 1, mai-juin 1953, p. 2.


[13] Barthes, « “Le Prince de Hombourg” au TNP » (1953), OC, I, p. 245-254.


[14] Voir Barthes, « Pour une définition du théâtre populaire » (1954), OC, I, p. 516 ; « Le théâtre populaire d’aujourd’hui » (1954), OC, I, p. 532 ; « Avignon, l’hiver » (1954), OC, I, p. 472.


[15] Barthes, « Éditorial », Théâtre Populaire, n˚ 1, art. cit., p. 4.


[16] L’ « empoissement » est un terme qui revient souvent sous la plume de Barthes pour décrire le style faux et retardataire du théâtre bourgeois. Voir par exemple, Barthes, « Mère Courage Aveugle » (1955) et « La révolution brechtienne » (1955), in Essais critiques (1964), OC, II, p. 312, p. 346.


[17] Barthes, « Pouvoir de la tragédie antique » (1953), OC, I, p. 265-266.


[18] Barthes, « Le théâtre populaire d’aujourd’hui » (1954), OC, I, p. 529. Cet article a d’abord paru dans Théâtre de France, t. IV, décembre 1954, p. 154-155.


[19] Barthes, « Éditorial » (1954), OC, I, p. 458.


[20]Barthes, « “Le Prince de Hombourg” au TNP » (1953), OC, I, p. 251.


[21] Barthes, «Éditorial » (1954), OC, I, p. 458.


[22] Maurice Blanchot, La communauté inavouable, Paris, Les Éditions de Minuit, 1983, p. 78.


[23] Barthes, « Témoignage sur le théâtre » (1965), OC, II, p. 711.


[24] Littéralement : journal à grands caractères. Affiche illégale généralement placardée pour critiquer le pouvoir et diffuser une information non officielle. Ce média a joué un grand rôle dans les premières années de la Révolution culturelle (1966-1969) : les étudiants, révoltés par la tutelle de la bourgeoisie sur l’institution, recouvrèrent les murs des universités de dazibao subversifs.


[25] Calvet, Roland Barthes, op. cit., p. 204.


[26] Barthes, « Témoignage sur le théâtre » (1965), OC, II, p. 712.


[27] Ibid.


[28] Barthes, « L’éblouissement » (1971), OC, III, p. 871-872.


[29] Bernard Dort, Le Spectateur en dialogue, Paris, POL, 1995, p. 142.


[30] Barthes, « Réponses » (1971),OC, III p. 1030.


[31] Dort, Le Spectateur en dialogue, op. cit., p. 142.


[32] Barthes, « Théâtre capital » (1954), OC, I, p. 504


[33] Barthes, « Mère Courage aveugle » (1955), OC, II, p. 311.


[34] Ibid., p. 313.


[35] Bertolt Brecht, Petit organon pour le théâtre, in Écrits sur le théâtre, éd. Jean-Marie Valentin, Gallimard (Édition publiée en collaboration avec L’Arche Éditeur), « Bibliothèque de la Pléiade », 2000, p. 379.


[36] Ibid., p. 361.


[37] Barthes, « Brecht, Marx et l’Histoire » (1957), OC, I, p. 908.


[38] Ibid.


[39] Ibid., p. 909.


[40] Ibid., p. 910.


[41] Barthes, « Brecht et notre temps » (1958), OC, I, p. 922.


[42] Barthes, « Michelet, l’histoire et la Mort » (1951), OC, I, p. 110.


[43] Ibid.


[44] Barthes, « Vingt mots-clés pour Roland Barthes » (1975), OC, IV, p. 868.


[45] Ibid. D’abord édités par Werner Hecht et publiés dans Brecht, Schriften 2 (p. 557-917) (Zur Literatur und kunst, Politik und Gesellschaft), avant de constituer le volume III de Gesammelte Werke (Edition Suhrkamp, 1967), ces écrits fragmentaires sont traduits par Paul Dehem et Philippe Ivernel sous le titre français de Écrits sur la politique et la société, publié chez L’Arche Éditeur en 1970.


[46] Barthes, Leçon (1978), OC, V, p. 432.


[47] Brecht, Écrits sur la politique et la société, p. 151-153.


[48] Barthes, « Brecht et le discours : contribution à l’étude de la discursivité » (1975), OC, IV, p. 787.


[49] Ibid., p. 784.


[50] Ibid.


[51] Ibid., p. 784-785.


[52] Voir Maurice Blanchot, L’Entretien infini, Paris, Gallimard, p. 237-239.


[53] Barthes, Comment vivre ensemble, p. 37.


[54] Ibid., p. 33-34.


[55] Barthes, « Comment vivre ensemble : Simulations romanesques de quelques espaces quotidiens – Qu’est-ce que “tenir un discours” ? Recherche sur la parole investie » (1976-1977), OC, V, p. 362.


[56] Ibid., p. 363. Sur l’importance de la « distance convenable » et la manière dont Barthes agence les espaces de ses cours et de ses séminaires au Collège de France, voir Claude Coste, « Roland Barthes, du séminaire au cours magistral », L’histoire de l’éducation, 2008/4, n˚ 120, pp 139-160 (disponible en ligne: http://histoire-education.revues.org/1839).


[57] Barthes, Comment vivre ensemble, p. 37.


[58] Ibid.


[59] Ibid., p. 37, p. 58.


[60] Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966, p. 327.


[61] Ibid., p. 332 ; Barthes, Comment vivre ensemble, 38.


[62] Benveniste, Problèmes de linguistique générale, op. cit., p. 334.


[63] Ibid., p. 333.


[64] Ibid.


[65] Barthes, Comment vivre ensemble, p. 39.


[66] Ibid., p. 83.


[67] Ibid., p. 177.


[68] Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), OC, IV, p. 632-633.


[69] Barthes. « Le théâtre de Baudelaire » (1954), in Essais critiques (1964), OC, II, p. 304


[70] Ibid. p. 309.


[71] Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), OC, IV, p. 749.


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Pour citer cet article

Yue Zhuo, « Barthes « politique » : du théâtre à l’idiorrythmie », in Claude Coste & Mathieu Messager (dir.), Revue Roland Barthes, nº 2, octobre 2015, « Barthes à l'étranger », [en ligne]. URL : http://www.roland-barthes.org/article_zhuo.html [Site consulté le DATE].


1Ce texte est la version remaniée d’un article paru en langue anglaise dans French Forum, vol. 36, no˚ 1, Winter 2011, p. 55-74.

2Roland Barthes, « Vingt mots-clés pour Roland Barthes » (1975), in Roland Barthes, Œuvres complètes (désormais abrégé OC), IV, éd. Éric Marty, Paris, Seuil, 2002, p. 862. Sauf mention contraire de ma part, toutes les références aux écrits de Barthes renvoient à cette édition, suivies de la tomaison et de la pagination.

3Ibid.

4Ibid.

5Ibid.

6Selon Louis-Jean Calvet, « critique et chroniqueur engagé », telle est l’image que Barthes s’est donnée en 1957, à la parution de Mythologies. Voir Louis-Jean Calvet, Roland Barthes, Flammarion, 1990, p. 160.

7C’est Jean-Loup Rivière qui a tardivement recueilli ces écrits en un seul volume sous le titre d’Écrits sur le théâtre (Seuil, 2002). À la fin de sa vie, envisageant une éventuelle publication, Barthes a commencé à collaborer avec Rivière sur le choix des textes. Philippe Roger fut un des premiers à souligner la passion politique « mal connue » de Barthes pour le théâtre. Voir son article, « Barthes dans les années Marx », Communications, 63, 1996, p. 39-65. Parmi les études importantes sur Barthes et ses années d’« engagement » théâtral, citons Andy Stafford, «Constructing a Radical Popular Theatre: Roland Barthes, Brecht and Théâtre Populaire », French Cultural Studies, 7 (1996), pp. 33-48 ; Timothy Scheie, « Roland Barthes and the Myth of a National Theater », French Forum, 30:2 (2005) : pp. 79-96 ; Christophe Bident, Le geste théâtral de Roland Barthes, Paris, Hermann, 2012, et l’étude récente de Lise Forment, « Roland Barthes et l’actualité du théâtre "classique" : la transhistoricité de la littérature mise en spectacle », Revue Roland Barthes, nº 1, juin 2014 [en ligne]. URL : http://www.roland-barthes.org/article_forment.html.

8 Barthes, « Brecht » (1955), OC, I, p. 593.

9Barthes, Comment vivre ensemble : simulations romanesques de quelques espaces quotidiens (1976-1977), Seuil/Imec, 2002 (désormais abrégé Comment vivre ensemble), p. 36-40.

10Dans un entretien accordé à Tel Quel en automne 1971, Barthes décrit sa position à l’Armistice comme « sartrien et marxiste » : « J’essaye d’“engager” la forme littéraire […] et de marxiser l’engagement sartrien… ». Barthes, « Réponses » (1971), OC, III, p. 1026.

11Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), OC, IV, p. 632. Pour la référence à Brecht, voir la note 44.

12Barthes, « Éditorial », Théâtre Populaire, n˚ 1, mai-juin 1953, p. 2.

13Barthes, « “Le Prince de Hombourg” au TNP » (1953), OC, I, p. 245-254.

14Voir Barthes, « Pour une définition du théâtre populaire » (1954), OC, I, p. 516 ; « Le théâtre populaire d’aujourd’hui » (1954), OC, I, p. 532 ; « Avignon, l’hiver » (1954), OC, I, p. 472.

15Barthes, « Éditorial », Théâtre Populaire, n˚ 1, art. cit., p. 4.

16L’ « empoissement » est un terme qui revient souvent sous la plume de Barthes pour décrire le style faux et retardataire du théâtre bourgeois. Voir par exemple, Barthes, « Mère Courage Aveugle » (1955) et « La révolution brechtienne » (1955), in Essais critiques (1964), OC, II, p. 312, p. 346.

17Barthes, « Pouvoir de la tragédie antique » (1953), OC, I, p. 265-266.

18Barthes, « Le théâtre populaire d’aujourd’hui » (1954), OC, I, p. 529. Cet article a d’abord paru dans Théâtre de France, t. IV, décembre 1954, p. 154-155.

19Barthes, « Éditorial » (1954), OC, I, p. 458.

20Barthes, « “Le Prince de Hombourg” au TNP » (1953), OC, I, p. 251.

21Barthes, «Éditorial » (1954), OC, I, p. 458.

22Maurice Blanchot, La communauté inavouable, Paris, Les Éditions de Minuit, 1983, p. 78.

23Barthes, « Témoignage sur le théâtre » (1965), OC, II, p. 711.

24Littéralement : journal à grands caractères. Affiche illégale généralement placardée pour critiquer le pouvoir et diffuser une information non officielle. Ce média a joué un grand rôle dans les premières années de la Révolution culturelle (1966-1969) : les étudiants, révoltés par la tutelle de la bourgeoisie sur l’institution, recouvrèrent les murs des universités de dazibao subversifs.

25Calvet, Roland Barthes, op. cit., p. 204.

26Barthes, « Témoignage sur le théâtre » (1965), OC, II, p. 712.

27Ibid.

28Barthes, « L’éblouissement » (1971), OC, III, p. 871-872.

29Bernard Dort, Le Spectateur en dialogue, Paris, POL, 1995, p. 142.

30Barthes, « Réponses » (1971),OC, III p. 1030.

31Dort, Le Spectateur en dialogue, op. cit., p. 142.

32Barthes, « Théâtre capital » (1954), OC, I, p. 504

33Barthes, « Mère Courage aveugle » (1955), OC, II, p. 311.

34Ibid., p. 313.

35Bertolt Brecht, Petit organon pour le théâtre, in Écrits sur le théâtre, éd. Jean-Marie Valentin, Gallimard (Édition publiée en collaboration avec L’Arche Éditeur), « Bibliothèque de la Pléiade », 2000, p. 379.

36Ibid., p. 361.

37Barthes, « Brecht, Marx et l’Histoire » (1957), OC, I, p. 908.

38Ibid.

39Ibid., p. 909.

40Ibid., p. 910.

41Barthes, « Brecht et notre temps » (1958), OC, I, p. 922.

42Barthes, « Michelet, l’histoire et la Mort » (1951), OC, I, p. 110.

43Ibid.

44Barthes, « Vingt mots-clés pour Roland Barthes » (1975), OC, IV, p. 868.

45Ibid. D’abord édités par Werner Hecht et publiés dans Brecht, Schriften 2 (p. 557-917) (Zur Literatur und kunst, Politik und Gesellschaft), avant de constituer le volume III de Gesammelte Werke (Edition Suhrkamp, 1967), ces écrits fragmentaires sont traduits par Paul Dehem et Philippe Ivernel sous le titre français de Écrits sur la politique et la société, publié chez L’Arche Éditeur en 1970.

46Barthes, Leçon (1978), OC, V, p. 432.

47Brecht, Écrits sur la politique et la société, p. 151-153.

48Barthes, « Brecht et le discours : contribution à l’étude de la discursivité » (1975), OC, IV, p. 787.

49Ibid., p. 784.

50Ibid.

51Ibid., p. 784-785.

52Voir Maurice Blanchot, L’Entretien infini, Paris, Gallimard, p. 237-239.

53Barthes, Comment vivre ensemble, p. 37.

54Ibid., p. 33-34.

55Barthes, « Comment vivre ensemble : Simulations romanesques de quelques espaces quotidiens – Qu’est-ce que “tenir un discours” ? Recherche sur la parole investie » (1976-1977), OC, V, p. 362.

56Ibid., p. 363. Sur l’importance de la « distance convenable » et la manière dont Barthes agence les espaces de ses cours et de ses séminaires au Collège de France, voir Claude Coste, « Roland Barthes, du séminaire au cours magistral », L’histoire de l’éducation, 2008/4, n˚ 120, pp 139-160 (disponible en ligne: http://histoire-education.revues.org/1839).

57Barthes, Comment vivre ensemble, p. 37.

58Ibid.

59Ibid., p. 37, p. 58.

60Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966, p. 327.

61Ibid., p. 332 ; Barthes, Comment vivre ensemble, 38.

62Benveniste, Problèmes de linguistique générale, op. cit., p. 334.

63Ibid., p. 333.

64Ibid.

65Barthes, Comment vivre ensemble, p. 39.

66Ibid., p. 83.

67Ibid., p. 177.

68 Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), OC, IV, p. 632-633.

69Barthes. « Le théâtre de Baudelaire » (1954), in Essais critiques (1964), OC, II, p. 304

70Ibid. p. 309.

71 Barthes, Roland Barthes par Roland Barthes (1975), OC, IV, p. 749.