« [...] il y a eu, au cours des années cinquante, une façon de se dégager, de se démarquer d’une certaine manière de faire l’histoire sans pour autant nier l’histoire, refuser l’histoire, critiquer les historiens, mais pour écrire l’histoire autrement. Regardez Barthes, il est un historien à mon sens. Seulement il ne fait pas l’histoire comme on l’avait fait jusqu’à présent. Cela a été éprouvé comme refus d’histoire »[1].
Michel Foucault
Du vivant de Barthes déjà, son rapport à l’Histoire suscitait des malentendus. On le louait d’avoir « libéré » la critique du regard historiciste, on lui reprochait d’avoir « abandonné » l’Histoire. Rosalind Krauss, par exemple, insiste sur l’influence décisive de Barthes pour sa génération des critiques d’art américains, leur permettant de rompre avec Clement Greenberg : Barthes leur aurait appris qu’au lieu de « concevoir l’œuvre d’art comme un organisme (se développant à partir d’une tradition, enraciné dans l’histoire de tel ou tel médium) » il faudra la concevoir « comme une structure »[2], donc comme une étude synchronique qui coupe court à la tentation de chercher le sens dans l’histoire. Tzvetan Todorov accuse Barthes de combiner « un historicisme radical (pas de vérité générale, seulement des idéologies ponctuelles) avec un désintéressement pour l’histoire »[3]. Le journaliste de VH 101, interviewant Barthes en 1970 considère ce parti pris évident et l’interroge uniquement sur sa modalité et sa raison : « Comment une société d’un certain type est-elle arrivée à vouloir poser des problèmes antihistoriques, hors de l’histoire sortant une fois pour toutes de l’histoire ? »[4]. Plus tard, Claude Bremond et Thomas Pavel découpent la vie de Barthes en deux périodes considérant « l’abandon de l’histoire » comme un tournant décisif :
Partielle d’abord, la répudiation du marxisme a graduellement conduit Barthes à abandonner tout effort de ménager des liens entre la sémiologie et la pensée historique pour se rallier au structuralisme, dont l’influence ne faisait que s’accroître à la fin des années 1950. Cet abandon, déjà présent dans certaines des Mythologies […] se lit clairement dans les textes publiés après 1960 […] en particulier dans Sur Racine (1963) et dans Introduction à l’analyse structurale des récits (1966)[5].
Lorsque les critiques viennent de la gauche, l’Histoire signifie « matérialisme historique », quand elles viennent de la droite, « Histoire positiviste ». Certes, au fur et à mesure et tout en restant marxiste, Barthes s’éloigne des dogmes que la vulgarisation de la pensée de Marx impose à l’historiographie. Mais est-ce là un abandon de l’histoire ? Pas selon Barthes en tout cas. Au journaliste qui lui avait posé cette question Roland Barthes répond :
Mais non, nous ne sommes pas hors de l’histoire. Il faut préciser. Ce qui est en mouvement depuis cinq ans […] c’est une tentative pour théoriser un pluralisme historique ; on avait jusque-là une histoire purement linéaire, purement déterministe, une histoire moniste en quelque sorte et le structuralisme a aidé à cette prise de conscience du pluralisme historique. On n’essaye pas de sortir de l’histoire, on essaye de la compliquer, au contraire. Il y a, comme les savants disent, une complexisation, et c’est plutôt bon. C’est dans ce sens que Sollers a pu parler d’ « histoire monumentale » : un fonds historique qui n’a pas la même longueur d’onde, si l’on peut dire, que d’autres histoires qui lui sont intérieures. Je dirai que ce qui paraît assez révolutionnaire théoriquement, en tout cas qui est souvent contesté, qui rencontre des résistances, pourtant sur le plan de la science historique cela a déjà été postulé par des historiens comme Febvre ou comme Braudel : la coexistence de structures dont la “longueur d’onde” est différente[6].
Barthes évoque Lucien Febvre et Fernand Braudel pour expliquer sa démarche historique, et son geste n’est pas anodin. Ce n’est qu’à travers sa relation avec les Annales que la pensée historiographique de Barthes s’explique et se révèle dans toute son ampleur. Riche et complexe, ce rapport ne pourra être abordé en l’occurrence que sous un angle précis.
La revue, les membres de sa rédaction et l’école historiographique qu’elle a engendrée : le nom des Annales renvoie parallèlement aux trois référents. C’est de la collaboration de Roland Barthes avec cette revue qu’il s’agira ici. Peu nombreux, les articles de Barthes dans les Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, (ou Annales ESC) sont en revanche très riches par leurs idées novatrices et leur souci méthodique, mais aussi comme témoignages des liaisons de Barthes avec les sciences humaines de son époque. Ces écrits, pourtant, montrent plus clairement leurs enjeux et leurs richesses une fois situés dans le contexte : c’est en décrivant la relation de Barthes avec les historiens des Annales et en démontrant le dialogue qu’il entame avec cette école que nous essayons de lire ses articles dans la revue.
Chaque étape de la carrière de Barthes garde la trace d’une intervention décisive et bienveillante, toujours de la part d’un historien. Les trois générations de directeurs des Annales n’y ont pas manqué. Et ce fait est d’autant plus étonnant qu’aucun mandarin d’une autre discipline ne s’est montré aussi attentif au talent de ce critique littéraire et sémiologue. C’est grâce à Lucien Febvre et Fernand Braudel que Barthes obtint sa deuxième bourse de recherche au CNRS et de nouveau par intervention directe de Braudel qu’il devint directeur de recherche à la VIe section de l’EPHE. Jacques Le Goff succédant à Braudel sollicita Barthes et obtint de lui qu’il participe à la direction de « l’école », puis lui confia en 1975 la responsabilité de rédiger le programme scientifique de l’École des hautes études en sciences sociale qui venait d’être créée. Enfin, c’est Emmanuel Le Roy Ladurie qui persuade Foucault de présenter la candidature de Barthes au Collège de France[7]
Cette solidarité témoigne d’une proximité intellectuelle entre Roland Barthes et « l’esprit des Annales » : l’exigence de donner à l’histoire de nouveaux objets et de nouvelles méthodes lui permettant de comprendre les changements sociaux dans le temps. L’écriture de l’histoire ne sera plus un simple enchaînement d’événements relevant de la conscience d’un individu : le « héros ». Elle devient en revanche, suivant le modèle de toutes les sciences humaines, une analyse de la situation sociale et de ses changements dans le temps qui dépassent la conscience de ses agents. De la même manière que Barthes ne limite pas l’écriture littéraire à la simple intention de l’auteur et essaie de la situer par rapport aux contraintes sociales, linguistiques et littéraires, Lucien Febvre et Marc Bloch refusent de voir l’événement historique comme la conséquence de l’intention de son « auteur » (Lucien Febvre emploie explicitement ce mot et le rapproche même de l’auteur des textes scientifiques ou littéraires). Le concept de « l’inconscient social » emprunté à l’école durkheimienne justifie cette démarche. Après avoir congédié la conscience, Lucien Febvre élimine aussi (toujours en suivant Durkheim) la « nature humaine ». L’homme n’est pas identique à lui-même dans le temps. La plus grande erreur des historiens serait alors de projeter sur le passé les catégories psychiques fournies par leur propre époque, de comprendre la période qu’ils étudient à travers l’image qu’ils ont de « l’homme » de leur temps, qu’ils prennent pour l’homme éternel.
Le rapport à la temporalité est, sans aucun doute, l’autre aspect essentiel de « l’esprit des Annales ». Il s’agit de la conception braudélienne de différentes durées. Braudel emploie le mot « structure » pour décrire les phénomènes socio-historiques qui changent très lentement. Différentes structures se côtoient dans une société, mais gardent chacune leur propre rythme de mutation. La langue, la religion, les modes de production, les institutions sociales, subissent lentement des changements. Une grande rupture, comme la Révolution française, montre la crise de quelques-unes des structures mais non de toutes. À l’intérieur des structures, Braudel reconnaît des phénomènes qui changent à une vitesse moyenne (il les appelle conjonctures), et d’autres qui suivent un rythme rapide : ce sont les « événements », l’unique forme de temporalité dont l’histoire positiviste s’occupait.
Barthes attache une grande importance à cette vision de l’Histoire et j’essayerai de montrer que son œuvre peut être lue comme partie prenante du large programme de l’histoire des mentalités des Annales. La « longue durée »[8] braudélienne permet à Barthes de découper autrement les phénomènes historiques, ce qui égare les historiens de la littérature, trop habitués à une vision positiviste de l’Histoire. Or ce penchant, cette doxa historique, pose deux problèmes : on découpe les périodes de manière homogène et l’on attribue des caractéristiques précises aux époques que l’on a ainsi fabriquées. De surcroît les attributs des périodes que l’on a attentivement « coupées en tranche » (pour reprendre l’expression de Jacques Le Goff) doivent être cohérents. L’homme du Moyen Âge, sa littérature, sa politique, ont certaines caractéristiques, mais homme, littérature, ou politique ne sont jamais compris historiquement. Organisées autour du système politique pour les positivistes et du système économique pour les marxistes, ces histoires dépeignent l’état de la science, la technique, la langue, la pensée dans la continuité du « progrès de l’homme ». Une seule cause, économique ou politique, explique tout[9]. L’homme lui-même reste hors du temps.
Ici se situe le « combat pour l’histoire », la bataille des Annales pour fonder une nouvelle historiographie à même d’entamer un dialogue avec les nouvelles sciences de l’homme. Barthes s’engage pleinement dans cette guerre, dans laquelle il entre en tant que sémiologue pour créer une passerelle qu’il trouve nécessaire entre les recherches littéraires et les innovations des sciences humaines. Le sémiologue devient également historien et tente de jouer le rôle du médiateur entre les deux disciplines.
Les articles de Barthes dans les Annales ESC relèvent de la sémiologie. Or, selon Barthes, le « sens » est produit par l’histoire. Analyser la signification d’une forme commence par conséquent par l’observation de la structure historique dans laquelle elle signifie. Ce pourquoi le sémiologue est aussi historien.
Le premier article, « Histoire et sociologie du vêtement, quelques observations méthodologiques », paraît en 1957[10]. Nous y voyons un Barthes auquel nous ne sommes plus tellement habitués depuis quelques décennies : un Barthes sachant se montrer un universitaire rigoureux. Il commence son article par une démonstration d’érudition sur le sujet, explique rapidement l’Histoire des histoires de costume et pointe leur défaut dans l’ensemble. Barthes reprend dans son argumentaire les critiques que Lucien Febvre adressait à l’histoire « historisante », ainsi : ces livres font du vêtement un « événement », le décrivent comme un phénomène homogène, dont les mutations formelles sont toujours les conséquences d’une cause extérieure, politique, religieuse, économique, etc. Ils découpent de surcroît clairement la période que couvre cet événement : un début, une fin, et établissent arbitrairement des liens causals entre ce phénomène et les autres événements de la même période, sans tenir compte du fait que l’histoire du costume ne suit pas nécessairement le même rythme que l’histoire politique, par exemple.
Au début de l’article, Barthes semble chercher uniquement à élargir le champ du travail historiographique des Annales : fidèle à la pensée de Lucien Febvre, et proposant simplement, par l’intégration de nouveaux objets comme le vêtement, une extension du domaine de recherche. Cette fidélité et cette proposition pour un travail historique sont exprimées dès la première page :
L’Histoire du costume n’a pas encore bénéficié du renouveau des études historiques survenu en France depuis une trentaine d’années : la dimension économique et sociale de l’Histoire, les rapports du vêtement et des faits de sensibilité tels que Lucien Febvre les a définis, l’exigence d’une saisie idéologique du passé comme peuvent la postuler les historiens marxistes, c’est en fait toute la perspective institutionnelle du costume qui fait encore défaut ; lacune d’autant plus paradoxale que le vêtement est objet à la fois historique et sociologique, s’il en fut[11] .
Nous voyons dans ces lignes mêmes que l’ambition de Barthes dépasse la seule extension des domaines de recherche. En mentionnant les historiens marxistes et leurs travaux sur l’idéologie, Barthes ajoute une dimension politique au travail scientifique des Annales, ce qui n’est pas du tout envisagé ni voulu par les fondateurs de la revue, ni par leur successeur à l’époque, Fernand Braudel[12]. En ajoutant quelques lignes plus bas des références à Saussure, Barthes fait dans cet article une exposition parfaite du topos discursif de la sémiologie, tel qu’il l’envisageait à l’époque :
Les insuffisances des histoires du costume parues à ce jour sont donc d’abord celles-là mêmes de toute histoire historisante. Mais l’étude du vêtement pose un problème épistémologique particulier, que l’on voudrait au moins indiquer ici : celui que pose l’analyse de toute structure, à partir du moment où elle doit être saisie dans son histoire, sans cependant lui faire perdre sa constitution de structure : le vêtement est bien, à chaque moment de l’histoire, cet équilibre de formes normatives, dont l’ensemble est pourtant sans cesse en devenir[13].
L’histoire des mentalités, le marxisme, le structuralisme : le rapprochement n’est point évident. Une fois celui-ci mis en place, nous en comprenons en revanche facilement l’intérêt. L’histoire des mentalités analyse les croyances sociales, l’idéologie, la doxa. Le marxisme conduit à mener ensemble la résistance politique et l’étude scientifique. Et le structuralisme offre des outils pour analyser la question avec plus de précision.
Parallèlement, la sémiologie nourrit un autre rêve : l’omniprésence du signe l’encourage à penser qu’elle peut intervenir auprès de toutes les sciences humaines, les aider méthodologiquement et épistémologiquement. L’usage du vocabulaire linguistique permet, en créant des modèles simples, de pointer facilement les erreurs de méthodes :
Le problème est plus grave, parce que plus spécifique, en ce qui concerne l’erreur fondamentale de toutes les Histoires du costume, qui est de confondre sans précaution méthodologique les critères internes et externes de différenciation. Le vêtement est toujours implicitement conçu comme le signifiant particulier d’un signifié général qui lui est extérieur (époque, pays, classe sociale) ; mais, sans prévenir, l’historien suit tantôt l’histoire du signifiant : évolution des silhouettes, tantôt celle du signifié : règnes, nations[14] .
Dans un autre article de même nature, « Pour une psycho-sociologie de l’alimentation contemporaine » qu’il publie en 1961 dans les Annales, Barthes explique clairement son intention de placer l’analyse sémiologique au cœur des problématiques discutées par la sociologie et l’histoire :
Qu’est-ce que la nourriture ? Ce n’est pas seulement une collection de produits, justiciables d’études statistiques ou diététiques. C’est aussi et en même temps un système de communication, un corps d’images, un protocole d’usages, de situations et de conduites. Comment étudier cette réalité alimentaire, élargie jusqu’à l’image et au signe ? Les faits alimentaires doivent être recherchés partout où ils se trouvent : par observation directe dans l’économie, les techniques, les usages, les représentations publicitaires ; par observation indirecte, dans la vie mentale d’une population donnée. Et ces matériaux rassemblés, il faudrait sans doute les soumettre à une analyse immanente qui essaye de retrouver la manière significative dont ils sont rassemblés, avant de faire intervenir tout déterminisme économique, ou même idéologique. Je me bornerais à esquisser rapidement, ce que pourrait être une telle analyse[15].
Qu’il s’agisse du vêtement ou de la nourriture, c’est une distinction entre l’objet acheté ou consommé et l’objet réel qui permet à Barthes d’intervenir. De la même manière que Walter Benjamin applique la distinction marxiste entre la « valeur d’usage » et la « valeur d’échange » de la marchandise à l’œuvre d’art pour expliquer la différence entre la valeur cultuelle (l’aura) et la valeur d’exposition d’un seul et même objet, Barthes l’emprunte, méthodologiquement, sans citer ou mentionner Marx, pour analyser sémiologiquement les objets concrets qui, a priori, ne sont pas des signes. Si l’objet réel et l’objet acheté par le consommateur ne sont pas le même, c’est qu’entre les deux s’interpose une production imaginaire. Reproduit en image, l’objet devient à la fois chose, valeur et sens. Il n’est donc pas étonnant que cette distinction soit complétée par une seconde, cette fois empruntée à Saussure clairement mentionné, entre l’objet en tant qu’institution et système, et l’objet en tant qu’il est utilisé par l’individu : « Depuis Saussure, on sait que le langage, comme le costume, est à la fois système et histoire, acte individuel et institution collective »[16]. Grâce à la distinction saussurienne entre langue et parole, Barthes peut faire abstraction du vêtement porté, qui se donne difficilement à l’analyse, et prendre pour objet d’étude le vêtement imaginaire (l’institution vestimentaire) qui existe partout, même dans le vêtement réel, sans y être réductible.
La sémiologie explique comment et pourquoi elle doit intervenir dans le dialogue entre les sciences sociales et l’histoire. Le changement opéré par les Annales dans l’idée même de l’historiographie l’autorise. Barthes décrit ce dernier comme :
une révision discrète mais irréversible du « positivisme », la transformation, non de ses méthodes, mais de son objet, qui est désormais moins le fait que le fait signifiant : la dimension subjective n’est plus au niveau de l’historien mais au niveau, plus « anthropologique », du lecteur : c’est un mode nouveau de présence à l’Histoire qui lui est proposé[17].
En remplaçant « le fait » par « le fait signifiant », Barthes crée une complémentarité inédite entre l’histoire et la sémiologie. L’histoire des mentalités permet en effet un tel déplacement : pour comprendre la mentalité d’un peuple donné à une époque donnée, l’historien doit s’interroger davantage sur la signification du fait dans l’époque qu’il étudie que sur le fait en soi. La collaboration entre l’historien et le sémiologue devient alors nécessaire. Barthes met en évidence, au-delà des contradictions apparentes, l’aspect complémentaire de la pensée de Marx, de Saussure et de Febvre : il a besoin de Marx pour transformer l’objet en sens, de Saussure pour lui emprunter le moyen d’analyser ce sens et de Febvre pour situer historiquement cet objet, et donc ce sens. Cette complémentarité se fait parfaitement sentir à propos de la nourriture :
Un exemple ? Le passage du pain normal au pain de mie entraîne une différence de signifié : ici vie quotidienne, là réception ; de même le passage du pain blanc au pain noir, dans la société actuelle, correspond à un changement de signifiés sociaux : le pain noir est devenu, paradoxalement, signe de raffinement : on est donc en droit de considérer les variétés du pain comme des unités signifiantes ; du moins ces variétés-là, car la même épreuve pourra établir qu’il existe aussi des variétés insignifiantes, dont l’usage ne relève pas d’une institution collective, mais d’un simple goût individuel. On pourrait ainsi, de proche en proche, établir le tableau des différences significatives qui règlent le système de notre nourriture[18] .
Le sens est un produit de l’histoire, car les objets signifient dans le cadre d’une mentalité et cette mentalité est un phénomène historique. Pour que le pain noir soit signe de « grossièreté », il faut que son image soit associée à la pauvreté et l’image de la pauvreté à la grossièreté. Or l’accessibilité plus ou moins facile du pain blanc grâce aux nouveaux moyens techniques d’un côté, les vertus découvertes au pain noir de l’autre (en sus de beaucoup d’autres éléments historiques), peuvent détacher l’objet de sa signification précédente et l’attacher à d’autres images et valeurs. Les changements historiques se produisent donc à la fois au niveau du signifiant et du signifié, mais ces deux changements ne coïncident pas sur le plan historique. Un même signifiant, le pain noir, peut renvoyer à deux signifiés complètement opposés à deux périodes distinctes (bien qu’éventuellement proches). Non seulement l’historien doit travailler avec le sémiologue, mais le sémiologue doit aussi devenir, à sa manière, un historien.
En 1958, deux historiens éminents de l’école des Annales publient chez Armand Colin une Histoire de la civilisation française : Georges Duby, grand médiéviste proche de Fernand Braudel, et Robert Mandrou, secrétaire des Annales à cette époque, et élève le plus proche de Lucien Febvre. C’est Lucien Febvre lui-même qui avait demandé, peu avant sa mort, à Georges Duby d’écrire ce livre et l’avait mis en contact avec Robert Mandrou. La revue attend l’année 1960 pour publier un compte-rendu de ce livre et cette tâche est confiée à… Roland Barthes. Selon les documents conservés aux archives de l’EHESS, Barthes a travaillé régulièrement au secrétariat de la revue entre 1960-1962. L’une de ses responsabilités y était la répartition des comptes-rendus. Ce texte relève donc sans doute plus du choix que de la commande. Il n’en reste pas moins étonnant. Pour le comprendre il faudra se demander comment Barthes se situe pour rendre compte d’un livre d’histoire.
La position de Barthes est celle d’un historien des mentalités, mais la mentalité qu’il étudie à travers le livre n’est pas la même que celle analysée dans le livre commenté. Barthes ne juge pas la pertinence du travail des auteurs (il n’en a pas la compétence), mais se demande en revanche quel changement dans la mentalité contemporaine a permis la rédaction d’un tel livre. Toujours fidèle à la méthode de Lucien Febvre qu’il applique à sa propre époque, Barthes constate que le concept même de « civilisation » a changé dans les trente dernières années, c’est-à-dire : depuis la création des Annales. Pour ne laisser aucun doute sur sa position à cet égard, il ajoute dans une note de bas de page :
Il faudrait […] interroger par exemple les bibliothèques particulières des intellectuels d’aujourd’hui : je ne doute pas qu’on y trouve communément les Caractères originaux de Bloch, le Rabelais de Febvre, la Méditerranée de Braudel, et la France bourgeoise de Morazé ; et cela peut-être même, hors du rayon d’Histoire : changement notable de mentalité[19].
Les Annales ont donc contribué à un changement dans la mentalité des intellectuels français : la civilisation n’est plus considérée comme l’ensemble des arts nobles, sa conception s’est étendue à tous les aspects de la vie quotidienne : les objets, le travail, la nourriture, le costume, les mentalités… Barthes n’hésite pas à qualifier ce livre d’ethnologique. Appellation doublement importante car d’un côté l’école des Annales est en train de se diriger vers ce qui deviendra « l’histoire anthropologique », et de l’autre, « l’ethnologie de la modernité », dont Barthes parle souvent et à des périodes différentes de sa vie, n’est pas sans lien avec l’histoire anthropologique dont il perçoit déjà les promesses dans Histoire de la civilisation française de Duby et Mandrou.
Adoptant la posture de l’historien des mentalités, Barthes garde parallèlement le regard du sémiologue : étant donné que le sens est un produit de l’histoire, que la sémiologie tâche d’analyser tout ce qui signifie dans le quotidien, et que l’objet de l’histoire est maintenant le « fait signifiant », une histoire de la civilisation qui privilégie l’analyse du quotidien offre une base précieuse au travail sémiologique. Barthes se réfère à ce livre, même dans le Système de la mode, en apparence pourtant éloigné d’une démarche historique.
Cette même année 1960, Barthes publie un autre article très important dans les Annales : « Histoire et littérature : à propos de Racine ». Cet article suit exactement la même logique que les écrits de Barthes sur le vêtement ou la nourriture dans les Annales. Mais une différence fondamentale sépare l’objet de son article des précédents : l’Histoire littéraire, discipline profondément ancrée dans l’université et jalousement défendue par elle, n’est pas comparable à des sous-branches à peine existantes comme l’histoire du costume ou psycho-sociologie de la nourriture. Barthes lui applique la même méthode, une sémiologie fortement inspirée de l’histoire des mentalités. Mais Racine n’a pas le même statut institutionnel que la choucroute, et les universitaires s’indignent.
Comme tous les articles qu’il a publiés dans les Annales, ce texte est très clair et très méthodique. Barthes commence une nouvelle fois par la question du découpage historique, les temporalités multiples et le rapport causal supposé par les historiens entre les événements d’une même période. Il s’appuie essentiellement sur deux textes : L’apologie pour l’histoire de Marc Bloch et La Religion de Rabelais de Lucien Febvre. De nouveau Barthes adresse à l’histoire littéraire les mêmes critiques que les Annales à l’histoire événementielle :
Elle n’a d’histoire que le nom : c’est une suite de monographies, dont chacune, à peu de choses près, enclot un auteur et l’étudie pour lui-même ; l’histoire n’est ici que succession d’hommes seuls ; bref ce n’est pas une histoire, c’est une chronique ; certes, l’effort de généralité existe (et de plus en plus), portant sur des genres ou des écoles ; mais il est toujours cantonné à la littérature elle-même ; c’est un coup de chapeau donné en passant à la transcendance historique, un hors-d’œuvre au plat principal : l’auteur[20] .
La complexité de l’histoire littéraire proposée par Barthes est évidente, son intérêt aussi : il suggère une analyse parallèle des transformations internes du discours littéraire, de son statut social, de son rapport avec les autres « discours », du statut du spectateur ou du lecteur, de sa mentalité, du contenu, de la méthode et du cadre de l’enseignement de l’époque ; bref, il reconnaît lui-même qu’une telle histoire de la littérature ne saurait se distinguer de l’histoire tout court. À cet égard, Barthes suit encore une fois à la lettre ce qu’il appelle « le programme de Febvre ». Pour clarifier ce que Barthes entend par ce programme, lisons les propositions du fondateur des Annales pour une histoire littéraire :
Il faudrait pour l’écrire, reconstruire le milieu, se demander qui écrivait, et pour qui ; qui lisait, et pour quoi ; il faudrait savoir quelle formation avaient reçu, au collège ou ailleurs, les écrivains – et quelle formation, pareillement leurs lecteurs ; […] il faudrait mettre en liaison les changements d’habitude, de goût, d’écriture et de préoccupation des écrivains avec les vicissitudes de la politique, avec les transformations de la mentalité religieuse, avec les évolutions de la vie sociale, avec les changements de la mode artistique ou du goût, etc[21].
L’audace de l’article de Barthes apparaît donc lorsque la critique est adressée aux amis : il essaie, d’un coup rapide, de dépasser à la fois Lucien Febvre et Jean-Paul Sartre. En se posant la question de l’historicité de l’être même de la littérature, Barthes rappelle que celle-ci est absente des travaux de Lucien Febvre lui-même : la question « qu’est-ce que la littérature ? », quoiqu’anachronique, ne peut être posée qu’historiquement, dans la mesure où ce ne sont pas seulement les attributs mais l’être même de ce phénomène que nous appelons aujourd’hui « littérature » qui change dans l’histoire. L’histoire ontologique de la littérature sera donc le contraire même de l’histoire littéraire telle qu’elle s’écrit (à l’époque de Barthes comme aujourd’hui). Ni la littérature ni l’auteur ne seront considérés comme des évidences n’ayant pas besoin d’être définies. Ces concepts ne sont pas transcendantaux, invariables, hors du temps. L’histoire de la littérature ne sera donc pas l’histoire des changements des attributs d’un être immobile, mais au contraire, l’histoire des mutations de cet être même.
Cette question n’est pourtant pas étrangère à la pensée de Lucien Febvre ; les mots « être » ou « ontologie » sont sans doute de nature trop philosophique à son goût et n’apparaissent pas dans son œuvre, mais lorsqu’il s’interroge sur ce que pensaient faire les contemporains de Rabelais en le lisant, lorsqu’il se demande s’ils considéraient ses livres comme de la littérature (tout en insistant sur l’anachronisme de ce mot), ou bien quand il explique qu’au XVIe siècle « le patron » était le lecteur et non l’auteur, Febvre montre qu’une telle ontologie historique de la littérature peut sortir de sa pensée sans y être véritablement, de la même manière que le structuralisme a pu sortir de la pensée de Saussure sans y être[22]. Le vocabulaire philosophique employé par Barthes permet de conceptualiser l’idée de Febvre et désigner un programme de travail fondé sur ce concept. Car si le lecteur de l’époque attend toute autre chose de la « littérature » que ne le fait celui d’aujourd’hui, si l’auteur n’a pas la même place souveraine, si le texte a un fonctionnement social complètement différent, alors « l’être même » de la littérature a changé dans le temps. Mais dès que l’on précise ce fait, une autre pertinence, une autre méthode et une autre vision ont été proposées à l’ensemble des études littéraires.
C’est sans doute pour Barthes le travail des Annales qui confère au « tout est histoire » de Nietzsche un sens concret, et la possibilité d’une mise en pratique. La nature anhistorique et universelle de l’homme, qui règne encore aujourd’hui sur l’imaginaire scientifique, cet « homme identique à lui-même », grand résidu d’une croyance créationniste, se discrédite déjà, dès les années 1920, dans le travail historique de Lucien Febvre. Cette mise en question permet alors de mettre tout dans l’histoire. Mais une grande inquiétude se fait sentir : comment expliquer la continuité si tout change dans le temps, s’il n’y a rien en dehors et au-delà de l’histoire pour garantir et expliquer la permanence des phénomènes qui permettent à l’homme de se penser comme tel dans la succession des générations et la variation des apparences ? C’est la question classique de la philosophie de l’histoire : comment se fait-il que l’histoire ne soit pas une simple agglomération chaotique d’événements disparates ? À cette question la longue durée braudélienne répond : la différence de vitesse de changement des structures est telle que la rupture dans une société n’est jamais totale, et que la société peut ainsi se penser en termes de continuité malgré les bouleversements.
Barthes exploite cette idée dans plusieurs articles qu’il publie dans d’autres revues. À propos de la mode par exemple. Un « fait signifiant » comme la « distinction » vestimentaire aide à percevoir une structure qui dure depuis plusieurs siècles. La Révolution française impose un changement au niveau du signifiant : la sobriété du vêtement bourgeois. La « distinction » ne disparaît pas pour autant, elle revient à travers d’autres signifiants, comme le dandysme, qui se heurte ensuite à une autre rupture : l’industrialisation du vêtement. Au lieu de procéder comme un historien classique en étudiant l’histoire du vêtement d’une période circonscrite, Barthes pose la question de la signification, qui relève de la longue durée, retrace la structure de la signification vestimentaire et en évoque les ruptures intérieures. Cette démarche correspond exactement à celle mise en avant par les Annales. Parallèlement en démontrant que le vêtement féminin n’a connu aucune mutation réelle avec la Révolution, Barthes embrasse une autre idée fondamentale de Lucien Febvre ce dernier n’ayant jamais cessé d’insister sur le fait que l’infrastructure économique ou politique n’explique pas nécessairement les autres phénomènes sociaux.
La « mentalité » pour les Annales, relève de la longue durée. C’est ce cadre plus ou moins inconscient que partagent tous les membres d’une société à une période donnée. Non seulement l’analyse des mentalités aide Barthes dans son travail sur la signification, la doxa, l’idéologie, mais encore la méthode employée par les historiens à cette fin lui paraît d’une grande utilité pour les études littéraires. Dans L’Apologie pour l’histoire, Marc Bloch avait montré que pour utiliser un texte, littéraire ou non, comme document historique, l’historien doit s’intéresser moins au message que l’auteur a l’intention de transmettre qu’à ce qui lui paraît évident. C’est la lecture de ces « évidences » implicites qui aide l’historien à comprendre la mentalité de l’époque qu’il étudie ; et c’est en s’appuyant sur cette méthode que Barthes, dans ses analyses de textes, peut distinguer la doxa qui circule à travers un écrit sans que l’auteur s’en rende compte. Balzac reproduit ainsi l’image du séducteur, comme le montre Barthes dans S/Z, non selon la vérité mais selon la doxa de son époque, parce que – les Annales l’avaient montré – comme tout homme, il est prisonnier de la mentalité de son temps.
Les tentatives de Barthes d’apporter vers les études littéraires la méthode historiographique des Annales n’ont pas été suivies par les littéraires. Ses propositions d’aide « sémiologique » aux historiens sont restées majoritairement sans réponse. L’échec est grand, certes, mais l’idée en reste pour autant prodigieuse. Les études littéraires et l’histoire gagneront en richesse de contenu et en précision de méthode dans cet échange. Peut-on rêver de réessayer, une autre fois, aujourd’hui ?
La relation de Barthes avec la revue des Annales. Économies, sociétés, civilisations, nous importe pour trois raisons : d’abord, son travail au secrétariat de cette revue ainsi que les articles qu’il y a publiés, puis sa relation intellectuelle avec les historiens de ce courant historiographique, enfin, ses tentatives interdisciplinaires pour rapprocher la sémiologie de l’historiographie et permettre à chacune de profiter des avancées de l’autre. Nous essaierons de révéler cette relation personnelle et intellectuelle à travers une lecture des articles de Barthes publiés dans la revue des Annales.
Mots clés : Barthes, Les Annales, la longue durée, Lucien Febvre, Fernand Braudel, histoire des mentalités.
[1] Michel Foucault, « La Scène de la philosophie », (interview 1978) in Dits et écrits, t. II, Paris, éd. Gallimard, p. 580.
[2] Rosalind Krauss, L’Originalité de l’avant-garde et d’autres mythes modernistes, [1985], Paris, éd. Macula, tr. fr. Jean-Pierre Criqui, 1993. p. 8. Rosalind Krauss a en effet raison de penser que Barthes rejette le modèle historiciste classique. Pourtant la distinction entre une période structuraliste refusant « le modèle historiciste de l’engendrement du sens » et une période poststructuraliste soumettant « l’intemporelle » à l’analyse historique, n’est pas très exacte ; la suite de cet article essayera d’expliquer pourquoi.
[3] Tzvetan Todorov, Critique de la critique, Paris, éd. du Seuil, 1984, p. 76.
[4] Roland Barthes, « Sur la théorie », Entretien, 1970, repris in Roland Barthes, Œuvres complètes (désormais OC), Tome III, édition établie et présentée par Éric Marty, Paris, éd. du Seuil, 2002, p. 695.
[5] Claude Bremond / Thomas Pavel, De Barthes à Balzac, Fiction d’un critique, critiques d’une fiction, Paris, éd. Albin Michel, 1998, pp. 40-41.
[6] Roland Barthes, op.cit.
[7] Voir Tiphaine Samoyault, Roland Barthes, éd. Seuil, Paris, 2015, pp. 568-571.
[8] Voir « Fernand Braudel : Histoire et sciences sociales : la longue durée », Annales ESC n° 4, octobre-décembre 1958, repris in Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire, Paris, éd. Flammarion, 1969.
[9] Il faut bien sûr distinguer l’image vulgarisée de l’Histoire marxiste, qui se trouve même chez les littéraires, du travail savant des historiens marxistes qui est infiniment plus subtil.
[10] Cet article est en réalité un projet de thèse que Barthes avait rédigé pour sa deuxième bourse de recherche au CNRS, sous la direction de Georges Friedmann et c’est Friedmann qui le soumet à la revue des Annales pour y être publié comme article. Voir Jacqueline Guittard, Roland Barthes : la photographie ou l’épreuve de l’écriture, thèse de doctorat, soutenue en 2004 à l’université Paris 7, chapitre 2.
[11] Roland Barthes, « Histoire et sociologie du vêtement. Quelques observations méthodologiques. » 1957. OCI. pp. 892-893.
[12] Parmi les historiens des Annales il faut quand même mentionner, à titre d’exception, Georges Duby qui a beaucoup travaillé sur l’idéologie dans l’histoire et qui ne cache pas sa dette vis-à-vis du marxisme.
[13] Ibid., p. 893.
[14] Roland Barthes, art.cit. p. 895.
[15] Roland Barthes, « Pour une psycho-sociologie de l’alimentation contemporaine », Annales 1961, OC I, p. 1106.
[16] Roland Barthes, « Histoire et sociologie du vêtement. Quelques observations méthodologiques. » 1957, OC I, p. 898.
[17] Roland Barthes, « Une “Histoire de la civilisation française”. Une mentalité historique. » 1960, OC I, p. 1062.
[18] Roland Barthes, « Pour une psycho-sociologie de l’alimentation contemporaine », 1961, OCI, p. 1108.
[19] Roland Barthes, « Une “Histoire de la civilisation française”. Une mentalité historique » 1960, OC I, p. 1059.
[20] Roland Barthes, « Histoire ou littérature », 1960, repris in Sur Racine, 1963, OC II, p. 178.
[21] Lucien Febvre, « Littérature et vie sociale. De Lanson à Daniel Mornet, un renoncement ? » 1941, repris in Lucien Febvre, Vivre l’Histoire, édition établie par Brigitte Mazon, Paris, éd. Robert Laffont, 2009, pp. 227-228. (Il n’est pas certain que Barthes ait connu ce texte, en tout cas il ne le cite pas. Mais cet article est la démonstration la plus claire du « programme de Febvre » tel que Barthes l’entend).
[22] Voir Lucien Febvre, Le Problème de l’incroyance au XVIe siècle. La Religion de Rabelais, Paris, éd. Albin Michel 1942.
Hessam Noghrehchi rédige une thèse sur Roland Barthes et l’Histoire sous la direction de Tiphaine Samoyault à l’université Sorbonne-Nouvelle Paris 3. Il va faire paraître: « Le Fascisme de la langue » (revue Littérature, printemps 2017), « La Question du discours de l’histoire » (actes du colloque de Cerisy, Roland Barthes continuités, déplacements, recentrements), « La Nature et la Norme » (actes du colloque Roland Barthes face à la norme, Université de Picardie Jules Verne, Amiens). Il a également codirigé avec Claude Coste un numéro de la revue belge de philologie et d’histoire consacré à Roland Barthes (Février 2017)
Hessam Noghrehchi, « Roland Barthes et les Annales », in Jacqueline Guittard & Magali Nachtergael (dir.), Revue Roland Barthes, nº 3, mars 2017 [en ligne]. URL : http://www.roland-barthes.org/article_noghrehchi.html [Site consulté le DATE].
1 Michel Foucault, « La Scène de la philosophie », (interview 1978) in Dits et écrits, t. II, Paris, éd. Gallimard, p. 580.
2Rosalind Krauss, L’Originalité de l’avant-garde et d’autres mythes modernistes, [1985], Paris, éd. Macula, tr. fr. Jean-Pierre Criqui, 1993. p. 8. Rosalind Krauss a en effet raison de penser que Barthes rejette le modèle historiciste classique. Pourtant la distinction entre une période structuraliste refusant « le modèle historiciste de l’engendrement du sens » et une période poststructuraliste soumettant « l’intemporelle » à l’analyse historique, n’est pas très exacte ; la suite de cet article essayera d’expliquer pourquoi.
3Tzvetan Todorov, Critique de la critique, Paris, éd. du Seuil, 1984, p. 76.
4Roland Barthes, « Sur la théorie », Entretien, 1970, repris in Roland Barthes, Œuvres complètes (désormais OC), Tome III, édition établie et présentée par Éric Marty, Paris, éd. du Seuil, 2002, p. 695.
5Claude Bremond / Thomas Pavel, De Barthes à Balzac, Fiction d’un critique, critiques d’une fiction, Paris, éd. Albin Michel, 1998, pp. 40-41.
6Roland Barthes, op.cit.
7Voir Tiphaine Samoyault, Roland Barthes, éd. Seuil, Paris, 2015, pp. 568-571.
8Voir « Fernand Braudel : Histoire et sciences sociales : la longue durée », Annales ESC n° 4, octobre-décembre 1958, repris in Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire, Paris, éd. Flammarion, 1969.
9Il faut bien sûr distinguer l’image vulgarisée de l’Histoire marxiste, qui se trouve même chez les littéraires, du travail savant des historiens marxistes qui est infiniment plus subtil.
10Cet article est en réalité un projet de thèse que Barthes avait rédigé pour sa deuxième bourse de recherche au CNRS, sous la direction de Georges Friedmann et c’est Friedmann qui le soumet à la revue des Annales pour y être publié comme article. Voir Jacqueline Guittard, Roland Barthes : la photographie ou l’épreuve de l’écriture, thèse de doctorat, soutenue en 2004 à l’université Paris 7, chapitre 2.
11Roland Barthes, « Histoire et sociologie du vêtement. Quelques observations méthodologiques. » 1957. OCI. pp. 892-893.
12Parmi les historiens des Annales il faut quand même mentionner, à titre d’exception, Georges Duby qui a beaucoup travaillé sur l’idéologie dans l’histoire et qui ne cache pas sa dette vis-à-vis du marxisme.
13Ibid., p. 893.
14 Roland Barthes, art.cit. p. 895.
15Roland Barthes, « Pour une psycho-sociologie de l’alimentation contemporaine », Annales 1961, OC I, p. 1106.
16Roland Barthes, « Histoire et sociologie du vêtement. Quelques observations méthodologiques. » 1957, OC I, p. 898.
17Roland Barthes, « Une “Histoire de la civilisation française”. Une mentalité historique. » 1960, OC I, p. 1062.
18Roland Barthes, « Pour une psycho-sociologie de l’alimentation contemporaine », 1961, OCI, p. 1108.
19Roland Barthes, « Une “Histoire de la civilisation française”. Une mentalité historique » 1960, OC I, p. 1059.
20Roland Barthes, « Histoire ou littérature », 1960, repris in Sur Racine, 1963, OC II, p. 178.
21Lucien Febvre, « Littérature et vie sociale. De Lanson à Daniel Mornet, un renoncement ? » 1941, repris in Lucien Febvre, Vivre l’Histoire, édition établie par Brigitte Mazon, Paris, éd. Robert Laffont, 2009, pp. 227-228. (Il n’est pas certain que Barthes ait connu ce texte, en tout cas il ne le cite pas. Mais cet article est la démonstration la plus claire du « programme de Febvre » tel que Barthes l’entend).
22Voir Lucien Febvre, Le Problème de l’incroyance au XVIe siècle. La Religion de Rabelais, Paris, éd. Albin Michel 1942.